vendredi 20 juillet 2012

À notre humanité

L’histoire est souvent présente dans les textes de Marie Cosnay. Elle l’est également dans ce nouveau roman dont le cœur bat au rythme de la semaine sanglante qui marqua la chute de la Commune, en mai 1871, décimant en grande partie la classe ouvrière de l’époque.

Puisant aux sources, relisant en particulier les témoignages recueillis sur place par Prosper-Olivier Lissagaray, elle bâtit son roman en en éparpillant les séquences, leur faisant parfois prendre l’air d’un autre temps, façon de montrer (en évoquant l’engagement de l’italien Elio Vittorini et celui de l’espagnol Ramon Sender dans leur combat contre le fascisme et le franquisme) que la manière dont fut réprimée cet événement a, depuis, été fréquemment utilisée.

" Vingt sept ans après les événements de 1871, Lissagaray s’explique dans la Revue blanche. L’historien à qui Marx refusa la main de sa fille cadette résume ainsi les causes de la chute de la Commune : n’avoir pas occupé le Mont Valérien. Avoir attendu le 3 avril pour marcher sur Versailles. Avoir laissé le comité central s’ingérer dans les affaires après les élections. Légiférer et légiférer alors qu’il fallait combattre."

Ce que décrit Marie Cosnay, c’est l’avancée, sur tous les fronts, des soldats des troupes versaillaises qui ont en charge de réprimer la Commune en ne faisant aucun prisonnier. Les insurgés résistent comme ils peuvent. Les autres avancent. On tue à tour de bras. On exécute au Père Lachaise, à Montmartre et aux Tuileries.. On fusille au Luxembourg, dans la cour du Sénat ou le long du mur de la prison de la Roquette. « Boulevard Malesherbes, les Versaillais tirent sur les fédérés qui tombent les uns après les autres ». L’un d’entre eux affronte le feu des balles en criant « à notre humanité ». La Seine prend des teintes de plus en plus rougeoyantes. Là où les barricades brûlent, des centaines et bientôt des milliers de morts jonchent le sol. On vide son chassepot sur le corps des gisants qui n’ont pas encore tout à fait cessé de respirer. Ainsi Nathalie, qui se jette aux pieds de son mari Édouard que l’on vient d’abattre contre le mur de la prison. Une première balle a « fait danser » son corps. Le soldat a pitié. Cela ne l’empêche pas de tirer une seconde fois sur la jeune femme qui tressaute et meurt en quelques secondes.

Cette histoire dans l’histoire, celle d’un couple exécuté parce qu’Édouard, le révolutionnaire, l’internationaliste, a été dénoncé par sa propre belle-sœur pour que Emmy, leur fille de six ans, puisse avoir la vie sauve, court tout au long du roman.

" Emmy ne se lasse pas d’entendre, dix ou quinze ans plus tard, sur le bord du canal où ils viennent pour leur satisfaction, les bourreaux en confidence."

L’enfant qui eut la vie sauve en 1871 et qui finira par sombrer dans la folie erre, dans les années 1885, 1890, au bord du canal de l’Ourcq où elle offre son corps aux soldats en leur demandant, en échange, de lui raconter les souvenirs de leur massacre.

" Elle les reçoit. Ils parlent. Elle prend note de leurs confus souvenirs et malheureuse fierté dans un cahier qu’elle appelle registre et qu’elle cache entre sommier et matelas."

L’écriture de Marie Cosnay est sensible et nerveuse. Elle passe de l’âpreté à la douceur et réussit, grâce au souffle qu’elle insuffle à ses phrases et à la belle alchimie qu’elle créé entre ses références et son imaginaire en éveil, à tisser les lambeaux (il ne peut pas en être autrement) d’une histoire qui déborde et dépasse celle qui sert, au départ, de cœur à l'ouvrage.

 Marie Cosnay : À notre humanité, Quidam éditeur.

dimanche 8 juillet 2012

La croisée des errances

Invité à suivre, trois siècles après sa naissance (le 28 juin 1712 à Genève), Jean-Jacques Rousseau dans sa vie nomade en s’arrêtant plus particulièrement sur ses nombreux séjours dans ce que l’on appelle aujourd’hui la région Rhône-Alpes, Lionel Bourg a choisi de s’appuyer sur les textes en les associant (en les frottant même) aux paysages qui les traversent et aux émotions vives que ressentait à leur contact celui qui aimait tant mêler son monde intérieur et ses longues marches en terrains escarpés. Cela lui permettait de penser, de rêver, de composer, d’herboriser, de botaniser et d’éclaircir un quotidien que sa grande aptitude à vagabonder hors des sentiers battus se chargeait par ailleurs d’assombrir assez souvent.

« Il me faut des torrents, des rochers, des sapins, des bois noirs, des montagnes, des chemins raboteux à monter et à descendre, des précipices à mes côtés qui me fassent bien peur ».

C’est ce Rousseau indépendant, libre, un rien casse-coup, multipliant les découvertes et les rencontres, voulant satisfaire son insatiable appétit de vivre et de savoir que Lionel Bourg nous aide à redécouvrir. Il préfère partir sur les traces d’un homme qui, par bien des côtés, lui est proche, sûr d’y retrouver des itinéraires qui lui sont également familiers, plutôt que d’entreprendre une énième biographie.

C’est le touche-à-tout sensible, l’orphelin fugueur (il a neuf jours lorsque sa mère meurt) qui ira parfaire son éducation sentimentale chez sa tutrice et maîtresse Madame de Warens aux Charmettes avant d’assouvir plus encore ses désirs chez Madame de Larnage (à qui il sera redevable, dira-t-il, « de ne pas mourir sans avoir connu le plaisir »), c’est cet écrivain subtil, qui parvient à mettre des mots simples sur les émotions les plus contradictoires, qu’il prend pour guide.

Leur périple se fait au présent, dans des territoires où les chemins creux et les monts ou montagnes possèdent cet inestimable avantage de retarder au maximum l’arrivée dans les grandes villes (Annecy, Chambéry, Valence, Grenoble ou Lyon) en étirant d’autant leur impérieux besoin de solitude. Les retours en arrière et les moments-charnières qui marquent l’existence et l’œuvre de Rousseau sont fréquents et documentés. On ne peut faire route avec l’écrivain, le philosophe, le musicien, l’auteur des Confessions ou des Rêveries d’un promeneur solitaire mais aussi celui du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes ou Du contrat social sans expliquer ce qui, dans le parcours de cet autodidacte, a pu générer de tels textes. Lionel Bourg, pour ce faire, prend le temps de se replonger dans les livres, de les replacer dans leur contexte en s’attardant sur les liens, non pas permanents mais réguliers et ponctuels, qui créent une solide passerelle entre la vie et la création.

Si Rousseau fut toujours itinérant, la région Rhône-Alpes reste celle où il aura passé le plus de temps. Entre 1728 et 1742, il y séjourne longuement. En 1768, « proscrit, indésirable à Genève même, où l’on brûle ses livres », il y revient, s’arrêtant en divers endroits, notamment à Bourgoin et à Monquin avant de poursuivre sa route...

« L’homme qui, le 13 août 1768, prend pension à La Fontaine d’Or, maison calme, réputée de Bourgoin, a franchi le cap des cinquante-six ans.
Il est las. Déprimé.
Plus malheureux que ces pierres qu’il martyrise du bout de sa chaussure. »

Il lui reste dix ans à vivre. Et ces années-là lui seront souvent pénibles...
C’est le parcours précédent, celui des promenades solitaires, celui où le sentiment géographique rejoint le questionnement social et politique, que Lionel Bourg entend d’abord saisir, y insérant avec parcimonie des fragments relatifs à son propre cheminement, y ajoutant quelques pages pour dire son empathie et d’autres encore, extraites d’un carnet de route qu’il a tenu pendant son périple.

Parallèlement à ce volume, L. Bourg publie L’Irréductible, un texte bref, également consacré à l’auteur de La Nouvelle Héloïse, plus précisément situé dans les « villages rudes, composés d’ingrates maisons bâties de schiste ou de granit » où ses pas le mènent régulièrement. L’’empathie fait ici corps avec la hargne, la colère, l’envie d’en découdre, de taper du poing sur la table et de remettre, tant au dix-huitième siècle qu’au vingt-et-unième, les choses en place et en perspective. Cette prose, menée à train d’enfer, brosse en moins de trente pages un portrait vif et réussi, celui d’un homme à qui il aura manqué un peu plus d’une décennie pour atteindre 1789 mais dont l’ombre, parfois incarnée, n’a pas fini de hanter, certains soirs, les esprits de ceux qui s’en iront flâner du côté du Mont Pilat et d’ailleurs.

 Lionel Bourg : La croisée des errances, dessins de Géraldine Kosiak, Éditions La Fosse au ours, L’Irréductible, Éditions La Passe du vent.

dimanche 1 juillet 2012

Le Bréviaire

Le tableau s’offre paisible et reposant. Le naturalisme y prend ses aises. Un curé pose, assis au jardin, un bréviaire à la main, avec tout autour de lui des fleurs et des choux. L’enclos où il se trouve surplombe un village dont on distingue, dans une lumière qui est sans doute celle d’un soir d’été, le dégradé des toits, des pignons et des cheminées. Plus loin, se devinent champs et collines.

Jules-Alexis Muenier a vingt-trois ans quand il peint La Retraite de l’aumônier ou Le Bréviaire, toile avec laquelle il obtiendra (lui qui fut l’élève de Gérôme) une médaille au Salon des Artistes Français en 1887.
L’œuvre appartient désormais au musée des beaux-arts de Cambrai et c’est sur elle que Lucien Suel a choisi de jeter son dévolu pour en proposer une lecture originale. Plutôt que de s’inventer critique d’art, l’auteur de Mort d’un jardinier (sensible, on l’imagine, à ce décor-ci) a préféré rester fidèle à sa façon d’être et d’écrire. Il crée du mouvement et procède pour cela à une vraie mise en scène du tableau en invitant trois personnages à s’exprimer. Il appelle Dieu, l’aumônier et le peintre. Le premier regarde l’homme d’église du haut de son perchoir céleste en le remerciant avec un peu d’avance pour la qualité de son passage (qui se termine) sur terre.

« Tu as consacré les unions, réconforté les malades, béni et enseigné les enfants, rassemblé tes frères, aimé les âmes qui te furent confiées. »

Le deuxième psalmodie et empile, pêle-mêle, quelques pensées, principes ou faits anodins et réguliers en se préparant à rejoindre ceux qui l’ont précédé dans la mort. Ses bribes sont entrecoupées de réminiscences latines.

« Je me tais toute une vie est passée mon père disait tu traces ton sillon tu te retournes au bout du champ c’est fini - ne savait ni le jour ni l’heure - mal aux reins - mal aux fesses sur ce banc - Beati pauperes spiritu - encore les hirondelles bientôt l’Afrique - missionnaires – dictionnaires - mon bréviaire messe du matin - merci Seigneur - demain savon à barbe - la poussière des morts je marche dessus »

Quant au troisième, il revient sur la conception et le cheminement de sa toile en évoquant celui qui a posé pour lui.

« L’abbé Dambricourt fut heureux de mon succès au Salon de 1887. Il me dit en souriant que le jury avait dû être sensible au contraste entre la beauté du jardin et la décrépitude du personnage qui s’y trouvait ».

Chacun des intervenants s’exprime à tour de rôle et à plusieurs reprises, dans des registres différents, procurant à l’ensemble une force singulière, celle qui émane d’un tableau dans lequel Suel entre presque par effraction, en devinant les propos de ceux qui ne sont plus là pour témoigner, réussissant même à isoler puis à croquer le peintre et son modèle sitôt la séance de travail levée.

« Je travaillais rapidement, sans parler, jusqu’à ce que l’intensité de la lumière ait baissé au point où j’eusse été contraint de modifier ma palette. Alors, j’arrêtais la séance. Le vieux prêtre décroisait les jambes et posait son bréviaire sur le banc, puis, se redressant avec peine, il se frottait longuement le dos. »

Lucien Suel : Le Bréviaire, Une lecture de La Retraite de l’aumônier de Jules-Alexis Muenier (1863 – 1942), éditions Invenit.

samedi 23 juin 2012

Bonheurs d'Olivier Larizza

Il suffit d’ouvrir l’un de ses livres au hasard, ce peut être L’été, l’éternité (Chambelland, 1970), ou Oh, dites-moi si l’Ici-bas sombrera ? (Arfuyen, 2002) ou tout simplement celui-ci, Bonheurs d’Olivier Larizza, pour entrer de plein pied dans l’œuvre poétique de Jean-Paul Klée. Ce qu’on y découvre étonne et envoûte. La langue est vive, dételée, non soumise aux règles en vigueur dans l’ordinaire beau et bon parler. Le lyrisme a peu à voir avec ce qu’on en connait de réminiscences purement francophones. Un tempo libre s’y est subtilement invité et les poèmes, dans lesquels l’auteur glisse césures, ponctuations et désirs orthographiques et typographiques particuliers, débordent de vitalité. Au fil des pages, son quotidien et sa biographie s’y révèlent. Par petites touches, avec émotion, reliant les fils d’un itinéraire à jamais marqué par l’assassinat, en avril 1944, de son père Raymond-Lucien (philosophe, compagnon de Sartre) au camp de concentration du Struthof.

« mon père a été massacré affligé on ne
saura pas comment il a disparü & les
fümées n’en reviennent jamais elles qui
ont passé dans l’horrible cheminée qu’on
aperçoit encor à la sortie Krématoria,
l’air n’en pouvait plus & le Ciel
étoufferait de sanglots il s’est déchiré
en deux »

L’amitié que Jean-Paul Klée porte à Olivier Larizza (écrivain lui aussi, né en 1975) a débuté en octobre 2000. Depuis, il ne s’est pas passé un jour sans qu’il pense, écrive et trouve grande énergie grâce à celui qu’il a « remarqué choisi préféré / à toute chose d’avant lui ! ». Plus de 7000 pages se sont ainsi accumulées, la plupart inédites mais quelques unes fort heureusement déjà disponibles.

Après C’est ici le pays de Larizza (édition BF, 2003) et Trésor d’Olivier Larizza (éditions des Vanneaux, 2008), voici ces « bonheurs » activés grâce à l’ami (qu’il nomme ainsi ou « bel enfant » ou « mon ange » ou « le petit loup bleu ») et à qui ils retournent après s’être nourris de la douceur, de la spontanéité, des longues promenades dans Strasbourg, de l’angoisse toujours en embuscade et des aléas journaliers qui rythment sa vie. Le présent lui est plus salutaire que le passé. Sur lequel il ne revient que pour pointer ses failles, ses désillusions, son manque à vivre comblé par la poésie et son sens peu aigu des tâches matérielles non assurées parce que jugées moins nécessaires que l’écriture.

« j’ai perdü argent et relations à ne pas
répondre des courriers importants car j’avais
jamais le temps Toute la journée me filait à
courir la gredine poësie je la voyais
jours & nuits dans les kafés où j’abattis à la
main des feuillets par milliers !...
ça m’a pris forcément des années où hormis
d’écrire ma rêverie je n’ai foutü
rien !... les formülaires de santé le dossier
pour moi retraité la banque qui lentement
pourrissait »

Page à page, Jean-Paul Klée édifie un monument poétique à « l’oiseau miraculeux qui / très doucement devenir me fit / ce que je suis », dit-il en ouverture du livre. Notant ce dont il lui est redevable de joie retrouvée, il ne dérive cependant pas vers l’exercice d’admiration. Ce qu’il doit à Olivier Larizza, c’est une impulsion, une source, une inspiration, un étonnement qu’il ne pensait plus connaître, une envie irrépressible de poursuivre la route (humaine et poétique). Sa douceur et sa bonté (que certains, pris dans les tenailles et la dureté du monde, pourraient prendre pour de la naïveté) et ce don de soi pour l’autre – et les autres – sont rares et remarquables.

Jean-Paul Klée est une sorte de phénomène littéraire. Il maîtrise toutes les subtilités du langage. Il sait le triturer, le casser, le recomposer. Et être drôle, tragique, baroque, pudique, impudique. Il ose s’aventurer là où tant d’autres s’autocensureraient. Ses cartons sont pleins d’inédits. Des milliers de feuilles 21 X 29,7 manuscrites où se trouvent poèmes, pages de journal et textes en prose. Pour l’instant, une douzaine de livres ont vu le jour (certains chez des éditeurs qui ont depuis fermé boutique). Bonheurs d’Olivier Larizza, le premier des « cahiers Jean-Paul Klée » que les éditions des Vanneaux ont décidé de lancer, se termine par un hommage à sa mère,  décédée le 29 avril 2010.

« ombré
d’une beauté sans nom le
visage de ma mère va
vers le rien (le désordre) l’inau
dible dessiné par la terre & le
silencieux cercueil où s’abrite encor
ce qui d’elle a demeuré ici-bas »

 Jean-Paul Klée : Bonheurs d’Olivier Larizza, postface de Jean-Pascal Dubost, éditions des Vanneaux.


mercredi 13 juin 2012

Je, cheval

Ce qui frappe, d’emblée, dans l’écriture d’Albane Gellé, c’est ce mouvement perpétuel qui non seulement se transmet de livre en livre mais de plus s’accentue, s’amplifie, faisant bouger ses lignes avec une apparente légèreté. Pas de rupture, de cassure, de reniements. Elle avance, questionne. Cela remue dans des textes qui se situent  du côté de la prose poétique.

Dans un entretien publié en 2007 par la revue "Décharge" (n° 132), elle disait être "partie dans un nouveau chantier, si nouveau que ça n’a rien à voir avec ce que j’écrivais avant. Il ne s’agit pas du tout d’un roman ni d’un récit, plutôt pour l’instant d’errances/pensées/poèmes (?) qui s’étirent dans de la prose beaucoup plus longue que d’habitude... On verra bien où ça me mène, en tout cas, jusqu’à maintenant, je suis bien dans ce chantier-là, alors je continue..."
Lisant cela avec un peu de recul, on ne peut s'empêcher de penser qu'elle parlait sans doute du long, sinueux et très clairvoyant cheminement qui allait donner Bougé(e), livre qui vit le jour en 2009 aux éditions du Seuil, dans la collection "Déplacements" que dirigeait François Bon.

Cette sensation d’être bien dans le travail en cours elle l’a, sans nul doute, fortement éprouvée (la transmettant par ricochets au lecteur) lors de l’écriture de Je, cheval , publié il y a cinq ans aux Editions Jacques Brémond. On y découvre, en courtes proses, une complicité, une harmonie fugace mais indéfectible entre le cheval et celui (ou celle) qui prend le temps de respirer à son rythme, de regarder à sa hauteur, d’écouter, de vibrer, de sentir...

« Le mot cheval au-dedans. Les mouvements, les muscles quand au galop, cette chaleur dessous. Quand tout se rassemble, est rassemblé, pour faire vivant le cheval à deux têtes que nous sommes. »

Cette connivence circule constamment dans le livre. Le besoin de deviner ce que vit l’animal dans les différentes situations (pré, forêt, box, champ de course) auxquelles il peut se trouver confronté s’affirme également dans plusieurs des scènes brèves du recueil. Au final, c’est lui, (il se présente : "je, cheval"), qui tient d’invisibles rênes et dit (si tant est qu’il parle, et il le fait) avec son corps en éveil, frissonnant, cognant le sol ou agitant la tête ou les oreilles, qu’on lui fiche, simplement, la paix.

« À défaut d’être libre, il veut être tranquille, à tourner en carré, suivre les petites lignes qu’il a tracées par terre, ses repères, son territoire, qu’on l’oublie. »

Entre douceur et tension, Albane Gellé réussit à nouer des liens entre le cheval ("l’animal vivant, le corps, le sauvage") et l’écriture ("l’indomptable l’équilibre l’inconnu le jamais acquis"). Le corps est constamment sollicité. C’est lui qui résiste, s’obstine, s’habitue ou s’incline.

« À cheval je suis d’emblée au coeur des choses, désencombrée, réunie. Débarrassée des entraves périphériques, des noeuds stériles. Je me rejoins, dans une extrême présence à ce qui m’entoure. Dénouée. »

 Albane Gellé : Je, cheval, éditions Jacques Brémond.