samedi 30 octobre 2010

Les Malchanceux

On a peine à imaginer qu’il aura fallu 40 ans aux lecteurs français pour pouvoir (enfin) découvrir Les Malchanceux de B.S. Johnson. Ce livre, peu à peu devenu un classique outre-Manche, est le chef d’œuvre d’un écrivain qui disait s’éloigner de la fiction parce qu’elle falsifiait trop la vérité. Cela ne l’empêcha pas d’écrire sept romans en une dizaine d’années et de se contredire sans sourciller avec, en filigrane, un argument choc : la vérité du moment n’est pas nécessairement celle du passé. Il peut advenir, par exemple, que la mémoire restitue certaines phases d’un passé plus ou moins récent en le modifiant et en devenant, par là même, elle-même, mécanique générant de la fiction. C’est ce qui se passe, par bribes, dans Les Malchanceux.

L’argument du livre est simple. Amené à produire des piges sportives pour un journal, un écrivain (Johnson en personne) passe ses samedis après-midi en déplacement d’un bout à l’autre du pays. Ce jour-là, il est envoyé dans une ville des Midlands. Il doit suivre le match de football qui oppose City à United. À peine franchi le hall de la gare, il s’aperçoit que cette ville ne lui est pas inconnue. Il y est même lié par des souvenirs très forts. Et ceux-ci le ramènent inévitablement à l’un de ses meilleurs amis, Tony, mort d’un cancer à l’âge de 29 ans.

Dès lors, le motif de son déplacement va se réduire et devenir anecdotique. Ce qui va le guider, ce n’est plus le match prévu (qui sera décevant, futile) mais les éléments qui vont l’aider à redonner toute sa place à Tony et à leur amitié. Pour revivre tout cela, ce désordre, ce puzzle qui se reconstitue à l’improviste et de façon éclatée, B.S. Johnson décide de construire un livre particulier.

Dans l’impossibilité d’accorder un suivi linéaire à une pensée en ébullition, et conscient des dangers de l’approximation (toujours dans l’optique de cette notion de vérité qui le hante), il va accepter l’idée d’écrire de façon discontinue en donnant enfin forme à ce fameux livre en boîte dont il rêvait depuis des années.
Ce livre, qui se veut « une métaphore du fonctionnement aléatoire de l’esprit », est conçu en 27 chapitres. Il ne sera – ne pourra – pas être relié puisque toutes ses sections participent à l’idée du chaos qui s’attache tout autant à la création qu’à la désintégration de la santé de Tony. Le mieux est donc de le mettre en boîte – comme on met au cercueil le corps de celui qui n’a pas résisté à la maladie – et de laisser ensuite le lecteur l’assembler à sa guise. C’est ce pari audacieux que l’auteur d’Albert Angelo réalise. Seuls le premier et le dernier chapitres sont présentés comme tels, donnant une assise romanesque à l’ensemble. Le reste est fait de cahiers qui, lus dans l’ordre que l’on veut, forment une grande et lucide méditation sur la disparition.

Connu pour sa forme expérimentale, ce livre est néanmoins simple et touchant par son approche lente et inexorable de la maladie. Johnson est un écrivain qui, dans la plupart de ses textes, va vers l’intime et l’autobiographie. Parfois, et c’est ici le cas, il prend des chemins détournés et se met en retrait. Cela ne l’empêche jamais d’être présent. Et de ressasser son mal être, ses ruptures, ses travaux aléatoires et ses projets littéraires. Même au chevet de l’ami qui se meurt, ces obsessions-là reviennent. Là où un autre prendrait soin de les taire, lui ne peut s’empêcher de les noter. Toujours au nom de cette vérité dont il se dépare pas.

Il faut encore ajouter, avec l’édition de ce livre unique, « un classique de son temps, et du nôtre », comme l’indique si justement Jonathan Coe dans sa préface, la très belle réalisation voulue par les éditions Quidam. L’ouvrage, présenté sous boîte, est donné tel que l’auteur l’avait souhaité lors de l’édition anglaise en 1969.

Bryan Stanley Johnson : Les Malchanceux, traduit de l’anglais par Françoise Marel, préface de Jonathan Coe, éditions Quidam.

dimanche 24 octobre 2010

Les Jardins statuaires

L’histoire des Jardins statuaires de Jacques Abeille est si étonnante qu’il est tout simplement impossible de la résumer en quelques lignes. Tout juste peut-on en esquisser la trame. Un voyageur pénètre, par une nuit d’hiver, dans des contrées incertaines. Les routes y sont « larges et austères, bordées de hauts murs ». Derrière ceux-ci se trouvent des domaines où l’on s’adonne uniquement à la culture des statues. Les jardiniers y oeuvrent en silence. Ils vivent dans des communautés qui semblent paisibles mais dont les lois s’avèrent très strictes. Leur vie entière est dédiée à ces figures qui sortent de terre sous forme de petits rameaux, qu’il faut ensuite sarcler, nettoyer, protéger, soigner pour qu’ils puissent prendre peu à peu envergure, visages et formes.
La mort venue, chacun d’entre eux sera inhumé « à l’endroit même où il a travaillé pour la dernière fois, afin que ses restes se mêlent au terreau et profitent à la croissance des statues à venir ».

La soif de savoir du voyageur est telle qu’il va vouloir s’immerger toujours un peu plus dans le monde statuaire avec en tête le projet d’écrire le récit de son périple et de ses rencontres dans les domaines. Il arpente longuement ces terres où l’on pratique et fait commerce d’une si étrange culture. Il va du nord au sud et même au-delà, en lisière, où sont abandonnées, passée la dernière parcelle, les statues qui n’ont pas trouvé preneur lors des séjours organisés à l’étranger pour tenter de vendre les récoltes. On les largue, sur le chemin du retour, le long d’une route qui fait office de frontière.

Troublé par la magie de ces contrées mystérieuses, le voyageur va vite découvrir, au fil de ses déplacements, l’envers du décor. Il va notamment constater le sort peu enviable réservé aux femmes et les différences de statuts qui règnent à l’intérieur de ces confréries rassemblées autour d’un doyen chargé de veiller sur l’ordre en place et sur la transmission de valeurs ancestrales. Retrouvant des hiérarchies qui ont cours dans de nombreuses sociétés humaines, il va également se rendre compte que, sitôt franchi la frontière, s’ouvrent des steppes peuplées de hordes barbares qui se préparent à anéantir le pays des cultivateurs de statues.

Jacques Abeille notait, dans sa préface à la première édition de ce livre (paru chez Flammarion en 1982), qu’il pensait faire le tour des pensées éparpillées autour de l’idée initiale (« d’un monde où poussaient non des courges mais des statues ») en quelques pages. Il expliquait aussi comment le besoin de conter par le détail toutes les fantaisies, les découvertes, les allégories et les cheminements insoupçonnés l’avait bien vite embarquer vers un chantier dépassant l’entendement.

« Je crus avoir écrit l’œuvre d’un fou ; l’ayant laissée quelque temps, je m’étonne d’une cohérence inattendue. »

On ne peut s’empêcher de penser que Jacques Abeille, écrivant un tel livre, suit un parcours initiatique assez identique à celui du voyageur qu’il met en scène. Plus il avance dans sa quête et plus le « désir de réalité » se fait jour, tissant des liens étroits entre les différents personnages qu’il côtoie. Au final, les cinquante pages initialement prévues pour contenir ce récit de voyage seront multipliées par dix. Abeille y a mis ce qu’il affectionne. À commencer par l’étrangeté et l’onirisme qui habitent l’ensemble de ses livres. À cela s’ajoute la langue parfaite, presque classique, qui est sienne. Il aime en saisir toutes les potentialités. Il pose sa pensée et l’avancée de ses cheminements en les étayant toujours et en négociant avec joie les courbes plus ou moins prononcées que la syntaxe et la grammaire lui offrent.

L’histoire éditoriale des Jardins statuaires est assez sombre. Durant près de vingt ans, bien des ennuis (faillite d’éditeurs, problèmes de fabrication, incendies d’entrepôts) se sont accumulés et ont empêché ce grand texte inclassable de vivre comme il se doit. Sa réédition chez Attila permet d’espérer que la malchance a enfin lâché prise. Un indice nous incite à y croire : cette édition en cache en effet une autre, un roman graphique intitulé, Les Mers Perdues, né de la rencontre et de la complicité de Jacques Abeille et de François Schuiten.

À l’origine, il y a la lecture des Jardins statuaires par Schuiten. Fasciné, y retrouvant de fortes résonances avec son propre imaginaire, il s’est lancé dans une série de dessins qu’il a proposé à l’écrivain, lui demandant de l’accompagner par l’écriture. C’est aussi lui qui signe la couverture (et les rabats) des Jardins.

Jacques Abeille : Les Jardins statuaires, éditions Attila .
Schuiten et Abeille : Les Mers Perdues, roman graphique, éditions Attila.

lundi 18 octobre 2010

Le Quart

Publié en 1954, Le Quart est l’unique roman du poète et marin grec Nikos Kavvadias. Ce texte, superbe, tour à tour cru ou cocasse, tourne entre récit, mémoires et poème en faisant en sorte que la parole y circule sans entraves. Elle est au centre de l’ouvrage, défilant à travers les histoires, anecdotes et fait-divers glanés au gré des escales et que les marins se racontent, pendant leur quart, sur la passerelle du Pythéas, « cargo de cinq milles tonnes, standard de la première guerre mondiale, à baignoires et à machine compound » qui navigue en mer de Chine, faisant route vers San-T’ou.

Kavvadias, écrivant, relatant cette chaude, suintante et tumultueuse traversée sait de quoi il parle. Né en 1910 à Kharbin, en Mandchourie, (son père y tenait un magasin d’import-export) il embarque dès 1928, devient ensuite radiotélégraphiste et sillonnera les mers du monde pratiquement jusqu’à sa mort, en février 1975.
Difficile d’ailleurs, lisant Le Quart, de ne pas le repérer dans le personnage de Nico, le radio qui est, lui aussi, né dans cet Orient vers lequel le rafiot exténué s’en retourne.

« Le radio, il arrête pas de taper avec son marteau-piqueur. Un boucan de tous les diables, c’est pas croyable. M’est avis qu’il va devenir cinglé, comme l’autre ahuri. J’suis resté longtemps à l’entendre parler seul. Y prend une revue, y l’ouvre, puis y la jette. Et ces filles à poil qu’il a sur les murs de sa chambre, cette écurie. Complètement sonné, oui. On va le perdre par la poupe, aussi vrai que je suis là.
— Tu lui as dit de venir ?
— Non, quand j’ai approché, il m’a fait signe avec la main de me tailler. Il est de chez nous ?
— Oui, d’Erissos, mais il est né dans ces régions où nous allons à présent.
— Alors, ses parents, ils étaient Chinois ?
— Mais non, voyons, Céphaloniens.
— T’as vu dans quel état il est ! Sa braguette, elle a pas l’ombre d’un bouton. Et paraît qu’il a été des années sur les paquebots. Si c’est comme ça qu’y se baladait à bord... »

Portrait sans concessions. Il en va du sien comme de celui des autres... Après cette publication, Kavvadias restera silencieux durant vingt ans. Il envisagera vaguement d’écrire ses mémoires. « Mais on va me tuer si je raconte tout », disait-il. En réalité, Le Quart s’avère déjà, à lui seul, être ce livre-phare auquel il songeait.

« Le radio est celui qui relie le navire au reste du monde. Celui qui capte la parole du monde, confuse, crépitante de parasites, celui qui transmet au monde les demandes d’aide, les appels au secours. Métier poétique, métier de mots », note avec justesse Olivier Rolin dans Cargos, la préface au tangage parfait qu’il a écrite pour la nouvelle édition (en 2006) d’un ouvrage qui était indisponible depuis plusieurs années (la traduction de Michel Saunier fut d’abord éditée chez Stock en 1969, puis chez Climats en 1989 avant de faire un bref passage en poche, chez 10/18).


Nikos Kavvadias - que l’on peut retrouver, au fil des ports, dans l’excellent film, Une croisière sur la vie, que lui a consacré Olivier Guiton en 1995 - a connu la célébrité en Grèce dès la sortie de son premier recueil de poèmes, Marabout, en 1933. La mer, les ports et les bateaux plus ou moins déglingués y sont déjà présents. Deux autres recueils suivront : Brume en 1947 et À la cape en 1975. Poèmes encore inédits en France mais qui, espérons-le,  ne le resteront plus longtemps. Quelques uns d'entre eux, traduits par Michel Volkovitch, ont été publiés il y a quelques années dans la revue "Le Nouvel Attila".

Nikos Kavvadias : Le Quart, éditions Denoël.

jeudi 7 octobre 2010

Écrivains

Si Lutz Bassmann et Manuela Draeger (que l’on croisait déjà, bien avant leurs premières publications, dans Le Post-exotisme en dix leçons, leçon onze (éd. Gallimard, 1998) sont peu à peu devenus auteurs à part entière, il n’en va pas de même, en tout cas pas encore, pour ceux qui se retrouvent au coeur du dernier livre d’Antoine Volodine. Qu’il ait choisi de lui donner pour titre Écrivains ne surprendra pas ceux qui fréquentent son univers depuis près de trois décennies. Chez lui, les personnages, qu’ils soient exclus, condamnés, hallucinés, en souffrance, en transe ou même morts, se lancent souvent dans des fictions inachevées. C’était notamment vrai dans Lisbonne, dernière marge et dans Des anges mineurs. Ce l’est également ici. Les écrivains qu’il nous propose de suivre ont des parcours et des œuvres tragiques. Ce qui ne les empêche pas de vibrer, de résister et de se frotter à une langue qu’ils ne maîtrisent pas toujours.

Ainsi l’analphabète Kouriline. Celui-ci, « touché par l’exigence de l’écriture » mais incapable d’assembler deux phrases de suite, finira par évoquer oralement, devant un auditoire composé d’un bout de bois, d’une quille et d’une collection de débris de ferraille ramassés dans une déchetterie, les dissidents exécutés par Staline le jour même, et sur le lieu même, de sa naissance.

« Avec ce discours au bout de bois, Kouriline ce matin-là entame la scansion de son œuvre unique mais considérable, qui fera de lui un des écrivains les plus méconnus de son siècle et, si l’on se réfère à une périodisation précise, sans doute l’écrivain le plus ignoré de la perestroïka, celui qui, à l’évidence, aura laissé le moins de traces dans le monde de la vaine parole. »

Il arrive que tel ou tel écrivain s’exprime tout en étant déjà mort. C’est le cas de Maria Trois-Cent-Trois. Son corps vient de lâcher. Elle court dans le noir. Elle est nue. Le lama qui devait s’occuper d’elle à l’institut médico-légal est mort lui aussi. Elle court pour se rendre à un colloque où elle doit donner une conférence sur « la théorie de l’image ». C’est ce qu’elle fait. Dans l’obscurité totale.

« A la fin, du moins dans notre monde post-exotique, il n’y a pas non plus de verbe. Comme au début, il n’y a pas de verbe. Seule l’image compte. »

L’humour, teinté de noir, celui du désenchantement, voire du désespoir, ce trait si spécifique qui  faisait dire, il y a peu, à Pierre Michon qu'il aimerait que ses "récits aient la fulgurance, la justesse, le tremblement à la fois désespéré et secoué de rire de ceux d'Antoine Volodine," cet humour est parcimonieusement présent dans Écrivains. Il vibre plus fort dans l’un des sept chapitres, celui intitulé Remerciements, qui permet à l’auteur inconnu, et néanmoins prolifique, de Rendez-vous chez les Boyols (ou de Chaos en Kirghizie, ou de Titanic à bâbord, ou de Orage sur Madeleine Polpot, etc.) d’exprimer sa reconnaissance envers tous ceux qui l’ont aidé à poursuivre son œuvre invisible.

« Il me semblerait injuste de ne pas mentionner, en bonne place parmi les personnes à qui je veux exprimer ici ma gratitude, le chien Ramsès de ma sœur Birgit, qui plusieurs fois m’a averti de l’approche d’importuns, et, avec une intelligence rare, les a tenus à distance, le temps que je me cache dans la chambre d’amis pour y faire le mort. »

La figure de l’écrivain décrite ici, sept fois de suite, par Volodine est plus proche qu’il n’y paraît d’une réalité évidemment assez peu visible. Ce n’est pas celle du poseur, du romantique, de l’inspiré, de l’aspiré, du murmurant auréolé de grâce soudaine mais celle, vibrante, tenace, ténue, tonique, d’un inconnu qui a souvent tout perdu (y compris ses dernières illusions) mais qui, loin de se résigner, a choisi de se battre, de s’exprimer, de trouver des failles, de s’y faufiler et de sortir, même en morceaux, par fenestrons et meurtrières, de son enfermement.

Antoine Volodine : Écrivains, éditions du Seuil.

lundi 4 octobre 2010

Onze rêves de suie

Manuela Draeger, auteur de romans pour adolescents à L’École des loisirs, est également l'une des voix du "post-exotisme".  Délaissant cette fois la littérature jeunesse et laissant au repos son héros récurrent Bobby Potemkine, elle publie Onze rêves de suie aux éditions de l’Olivier. L’histoire, portée par des acteurs très jeunes, permet de découvrir les liens fraternels et parfois même féeriques qui unissent spontanément les personnages en présence.

Le livre débute au moment où une opération gauchiste, organisée à l’occasion d’une manifestation interdite, "la bolcho pride", tourne mal. L’un des jeunes du groupe, Imayo Ozbeg, est en train de brûler dans un bâtiment en flammes où ses camarades orphelins se retrouvent également piégés.

« Ton nom est Imayo Ozbeg. Nous avons été élevés dans le même dortoir. Tu es en train de brûler. Je vais à toi. En ce moment nous allons tous vers toi. Mes souvenirs sont les tiens. »

Ce sont ces souvenirs accumulés durant les années passées à l’orphelinat qu’ils convoquent et racontent, allant parfois jusqu’à les réinventer pour redonner plus d’éclat aux images de fêtes colorées de rires et d’utopies qui jaillissaient jadis, vers la mi octobre, lors du défilé annuel de « la Fierté bolchevique ».

« Pendant une semaine ou deux, l’atmosphère changeait à l’intérieur du cadre familial et dans le ghetto. L’accablement était mis entre parenthèses. La sensation de n’avoir aucun avenir s’estompait. Nous avions tous soudain la certitude d’appartenir à une collectivité de braves, de prolétaires vaillants, lucides, optimistes… »

Maintenant que cela n’existe plus, et alors que leur ami Imayo Ozbeg brûle toujours, ils se remémorent ces morceaux d’enfance. Ils y mêlent les contes qui les faisaient vibrer, en particulier ceux attribués à Marta Ashkarot, une éléphante sans âge qui continue – et continuera – de se déplacer d’existence en existence.
Ces renvois au passé ont lieu au cœur du brasier, où ils finissent, envahis par les flammes, par échanger leurs identités. Un instant plus tard, alors que leurs mémoires et leurs corps s’assemblent, les métamorphosant en cormorans étranges, leur permettant de cheminer, sans se perdre, durant le « long trajet dans l’inexistence » qui les attend, le feu n’à plus grande importance pour eux.

« Les torches se froissaient et se défroissaient avec une grande lenteur. La température était agréable. Tout était immobile. Nous avions replié nos ailes le long de nos flancs et, conscientes que nous ne verrions jamais plus ni l’homme que nous aimions, ni la neige, ni la nuit, nous sentions des larmes couler sous le duvet de notre visage. »

Manuela Draeger : Onze rêves de suie, éditions de l'Olivier.