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samedi 20 juillet 2013

Un Chemin d'enfance

En mettant ses pas dans ceux de Corot, qui fut peintre des routes, de celles qui l’incitaient au plaisir de la marche et de la découverte sans idée de destination précise en tête, Marie Alloy entre également dans des paysages qu’elle connaît. Elle s’arrête et lit avec son propre regard de peintre la luminosité, l’alignement des maisons basses, le porche d’une ferme, les saules, leurs ombres et les deux personnages sans vrai visage qui composent, en une subtile harmonie de couleurs et de nuances, Une Route près d’Arras, tableau de taille modeste (45 x 35 cm) peint vers 1855-1858. Ce faisant, elle effectue un retour sur les lieux qui furent ceux de son enfance, se remémorant certains chemins couverts d’une terre tout aussi ocre et les perspectives d’un identique ciel sans fin.

« Habitant Sin-Le-Noble, toute jeune encore, je prenais le chemin que Corot avait représenté, je l’ignorais alors, pour aller dans ma famille paternelle. Il traversait les champs et longeait de petites maisons alignées. »

Elle note la discrétion qui est (et sera toujours) celle de cet homme qui cherche « la vérité en peinture » et qui n’use jamais d’artifice pour lier ce qui veille et travaille en lui à ce qui s’offre à son regard sensible.

« Nul besoin de pittoresque, l’honnêteté du regard de Corot se révèle, sa vision est claire, sa touche sait être sensation. »

Le passage dans ces lieux dont Corot s’imprégna longuement, non seulement dans Une Route près d’Arras, mais aussi dans Le Beffroi de Douai ou La Route de Sin-le-Noble ou Près d’Arras, les bûcheronnes, est pour Marie Alloy « propice au bourdonnement des souvenirs », qu’ils soient visuels ou plus secrets, plus intérieurs, reliés aux poètes qui ont arpenté ces mêmes itinéraires (d’abord Marceline Desbordes-Valmore puis le jeune Rimbaud faisant halte rue d’Esquerchin à Douai en 1870) ou ancrés dans l’intimité d’un jardin et d’une maison d’enfance bâtie non loin du bassin minier.

Corot aimait les paysages du Nord où il fit de fréquents séjours à partir de 1847. Il se rendait à Arras chez son ami Constant Dutilleux (qui fut son premier acheteur) ou à Douai chez Alfred Robaux. C’est ce que rappelle Marie Alloy, attirée par l’œuvre et par la personnalité (humble, discrète et généreuse) de celui que Claude Monet n’hésitait pas à placer au plus haut : « Il y a un seul maître, Corot. Nous ne sommes rien en comparaison, rien », disait-il. Elle note encore, outre la vie qui n’apparaît jamais figée dans ses toiles, l’importance des ciels chez ce peintre d’extérieur qui prend soin de rester légèrement en retrait mais toujours à proximité de ses personnages.

« Pour Corot, l’étude des ciels était de la plus grande importance parce que de leur traduction dépendait l’entier équilibre et esprit de la toile. »


 Marie Alloy : Un Chemin d’enfance, une lecture de Une Route près d’Arras, de Jean-Baptiste Camille Corot (1796-1875), éditions Invenit.


vendredi 25 mars 2016

Des voix dans l'obscur

Elles viennent de loin ces voix détachées des êtres qui les portaient tout en continuant pourtant d’émettre, à destination des vivants, des messages (des plaintes, des cris, des souvenirs) qui lacèrent le présent. Elles empêchent celle qui ne cesse de les entendre de trouver ce calme auquel elle aspire.

« j’écris pour m’extraire de leurs songes
rejoindre les vivants »

Se faufilant dans l’invisible, semant des chapelets de mots entre les cailloux, sous la terre, dans l’eau des rivières, parfois même au fond du puits qu’est devenu – à force d’encaisser – un corps anéanti par ce trop-plein de paroles emmêlées, elles ne reconnaissent pas plus le jour que la nuit et parlent en continu.

« la solitude connais pas n’ai jamais connu même au fond de mon corps lorsqu’il ressemble à un puits
la solitude j’en rêve quelquefois
ce serait reposant »

Il faudrait, pour cela, que les morts (et porteurs de morts) payent leur dû au silence, qu’ils acceptent de vivre ailleurs, qu’ils cessent de tirer vers le bas – vers un passé révolu – ceux qui ont encore, pour un temps, les pieds sur terre. Et si c’est trop leur demander, et manifestement ça l’est, reste à trouver des subterfuges et à s’armer pour ne pas sombrer sous leurs incessants coups de boutoir. C’est ce que fait Françoise Ascal. Elle sait que ces voix qui la traversent appartiennent à des êtres qui lui étaient chers (« ce sont mes bourreaux / mes aimés ») et qu’elle ne pourra les faire taire. Elle peut, par contre, et c’est ce qu’elle met ici en place, détourner leur trajectoire initiale, couper la route terre-chair, se saisir du moment présent, se rapprocher du paysage qui bouge autour d’elle, tout en nuances et en variations, pour atténuer leurs effets et leurs incessants retours en arrière.

« loin de l’ocre éventré
loin des éclats métalliques abreuvant les sillons
loin des croix alignées blanches blanches à perte de vue »

Elle ouvre des brèches en elle. S’éprouve en quête de signes, de sons, de sens. Note d’infimes bruissements de vie. Trouve et assemble des mots simples. Eux aussi viennent de loin. Mais à la différence des voix, ils sont capables de créer un équilibre fragile entre un corps douloureux et une pensée qui aimerait s’apaiser, en un siècle qui (elle le répète régulièrement) ne s’y prête guère.
« peut-être est-ce mon corps troué que je cherche à rejoindre dans la moindre faille »


Françoise Ascal : Des voix dans l’obscur, dessins de Gérard Titus-Carmel, éditions Aencrages.
Une présentation et un extrait de ce livre ainsi qu’un entretien entre Françoise Ascal et Dominique Dussidour figurent, sur "remue.net", dans le Cahier revue du mois de décembre. C’est à lire ici.

Un autre ouvrage de Françoise Ascal, Le fil de l’oubli, précédé de Noir Racine, publié une première fois par les éditions Calligrammes en 1998, vient d’être réédité (accompagné de monotypes de Marie Alloy) aux éditions Al Manar.

Vient également de paraître : Un bleu d'octobre, éditions Apogée.