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jeudi 1 février 2024

Le visage du mot : fils

 Auteur d’une douzaine de recueil de poèmes, Thierry Le Pennec écrit toujours au plus près de ce qu’il vit. Habitant dans un village des Côtes d’Armor, il est arboriculteur et passe la plupart de ses journées au verger, où il y a en permanence beaucoup à faire. Habituellement, il y travaille seul mais il arrive que son fils lui apporte son aide. Celle-ci s’avère alors aussi précieuse que sa présence au domicile familial. Et ça tombe bien puisque le voilà qui revient tout juste d’Allemagne en stop avec l’intention de rester deux semaines et demi sur place.

« Quand le fils est là le temps s’accélère »

C’est autour de lui que s’articule le livre. Par fragments, en une sorte de journal. Qui débute par sa naissance, vingt ans jour pour jour après la mort de Jimmy Hendrix (« il crie / sur ton ventre et déjà / semble interroger le monde ») pour se terminer au moment où le fils s’apprête à devenir père à son tour. Ce sont les années récentes qui sont ici évoquées. Celles où il revient périodiquement à la ferme, aidant son père à couper des branches fines, à clôturer le verger, à charrier du bois, à défricher ou à ramasser les premières « Reines des Reinettes » et celles aussi où il va prendre son envol.

« Aujourd’hui c’est un grand jour
pour le fils et sa compagne ils partent
en roulotte à cheval de la ferme
du Baden-Würtemberg où ils vivent
depuis deux ans ils
attellent pour l’Orient de l’Europe, ne savent
quand reviendront pas avant
d’avoir fait le tour d’eux-mêmes comme
à leur âge je fis. »

Bientôt, c’est en Autriche qu’ils cheminent et c’est là-bas aussi que père et mère vont les rejoindre, leur donner un peu de présence et de réconfort suite un accident qui vit les chevaux s’emballer après qu’un camion les eut doublé, les faisant tomber dans la rivière et blessant la Belle-Fille.
S’en suit un carnet de route où l’on lit le cheminement de l’équipage, les étapes, les faits quotidiens, les paysages traversés, les rencontres inopinées, les réflexions d’un père qui apprécie pleinement la simplicité et les subtilités d’une vie itinérante menée au rythme des chevaux.

« petit trot sur la route de Tulln – grande vallée mystérieuse, châteaux perchés, treilles, oiseaux – et maïs passé l’affluent à Traismauer – peintures naïves et pieuses sur maisons vigneronnes – à la grappe dédiée – bulbes en plein ciel découpées, comme déjà l’Orient – Byzance, l’influence – autos à toute vitesse – ab ! Ab ! Allez les enfants – le fils dirige les rênes, le fouet – l’arrivée des autres siècles en le nôtre – fou et fascinant »

Thierry Le Pennec décrit minutieusement ce qui s’offre à son regard et ce que cela lui rappelle. Son présent bouge tout autant que sa mémoire. Il s’ouvre naturellement, comme dans ses livres précédents, au monde et aux autres.
Quand il rentre en Bretagne, ses pensées suivent toujours la route du fils qui entre en Hongrie, poursuit son périple et ne reviendra que dans quelques mois. Pour aider à nouveau son père, continuer à tisser les liens qui les unissent, avant de repartir pour se poser enfin dans un lieu à lui.

« Cette fois ils partent
attellent pour la toute
dernière étape il y a
de l’émotion pour le fils qui quitte
symboliquement la maison de ses affaires
mises dans la roulotte nous sommes
désormais voisins à deux journées de cheval. »

Si la relation père-fils est parfois difficile et cause de tracas et de déconvenues, ce n’est pas le cas, bien au contraire, dans ce livre construit autour de la personnalité attachante d’un fils vu par un père qui revit, à travers lui, quelques-unes des aventures fondatrices de son ancienne jeunesse.

Thierry Le Pennec, Le visage du mot : fils, quatrième de couverture de Roger Lahu, éditions La Part commune.

jeudi 13 décembre 2018

Un tour au verger

La maison est bâtie sur une butte. Le verger se trouve derrière, légèrement en retrait et en contrebas. À côté, il y a le jardin, le champ, la cabane (pour l’âne et la jument), le hangar, le tracteur, la serre, l’appentis avec les cageots, les outils, les bouteilles. C’est là, dans un lieu calme, bordé de haies, que vit Thierry Le Pennec. Il cultive un hectare de pommes à couteaux dans les Côtes d’Armor.

« et grande journée d’épandage
des tourteaux de ricin tout autour des troncs
avec neveu venu
aider son vieux tonton
qui joue là son va-tout
« ça passe ou ça casse » disait Frère souvent
c’est le cas de le dire encore »

Il lui faut choyer ses arbres, les tailler, les traiter, parfois leur installer des tuteurs, faire respirer la terre qui les porte et les nourrit, l’aérer, la fumer. Il y durcit ses muscles, y attelle son corps. Travaille en espérant que le gel ne viendra pas griller les bourgeons et que la femelle du charançon ira déposer ses œufs ailleurs.

« Caisses, brouette, l’échelle et les mains. Atelier primitif. À la façon dont se détache la queue, on sait que c’est mûr. »

Tout cela, labeur, récolte, et d’autres choses encore, la vie tout entière, sa femme, ses enfants, la patience, la lenteur, l’érotisme, le désir des corps qui ont envie de se donner du plaisir et qui s’y emploient avec tendresse, Thierry Le Pennec l’écrit avec simplicité, sans emphase, en une poésie subtile et élémentaire, se demandant toutefois si ce qu’il note ainsi, par petites touches, chaque texte trouvant sa page « comme les pas le long des Reines des Reinettes qu’on prend le temps d’éclaircir », ne s’apparenterait pas plutôt à une sorte de journal qu’à un recueil de poèmes.

« Chaque jour son événement il est bon de le dire. Peu importe au fond ce que c’est s’il y a la manière, à deux mains adoptée, d’un écrit, d’un manche d’outil, s’il advient au cerveau comme un branle une cloche, une vibrée d’azur, de sombre météo. »

Humble, modeste, il avance à son rythme, à pas mesurés. Déroule sans élever la voix, mais avec un timbre très personnel, des poèmes brefs qui éclairent des moments familiers ou particuliers de sa vie et de celles de ses proches. Il se sait relié aux autres, le dit et s’en réjouit souvent. Il évoque ceux qui, comme lui, cultivent en solo leurs parcelles et qu’il rencontre lors d’un comice agricole ou d’une manifestation, ou pour un coup de main ou un coup de cidre. Il fouille dans les archives mémorielles des hameaux, y retrouve trace des hommes qui se sont échinés ici bien avant lui. Il y a longtemps que la terre a bu leur sueur mais elle se souvient toujours de leurs ombres. Ces faits infimes s’ajoutent à ceux qui naissent du présent. Certains déboulent d’’Inde ou d’Amérique. Tous alimentent les écrits d’un poète qui travaille au verger tout en restant attentif aux échos du monde qui l’entoure.

« chaque fois que je tourne
un poème au tracteur me revient
la pensée d’une ornière un arbre
que le vent coucha là sur le bord »

Thierry Le Pennec : Un tour au verger, éditions La Part Commune.


On peut également lire Thierry Le Pennec dans Jour de marché (Le Chat qui tousse) où il évoque les matins passés derrière l’étal à vendre ses pommes et dans Pré poèmes et pommes (éditions Potentille) où il dit, en une suite de poèmes courts, ce qu’est son quotidien de cultivateur et la force intérieure qu’il y puise.

vendredi 6 août 2010

Nono

« Une part de moi ne va pas bien
celle appelée le frère celui qui est
sur un lit d’hôpital avec à la tête
un pansement une bête noire dessous ».

Ce frère, en proie aux affres d’une maladie dont le nom n’est pas dit mais dont on se doute bien qu’elle mord, creuse et mange la vie sans rémission possible, c’est Nono qui déjà ne parle plus, ou si peu, qui ne voit plus, qui n’entend plus et qui se prépare à quitter l’ici-bas pour ailleurs. Cela, famille et proches unis, atterrés, démunis, pris dans cet échange du peu de mots qui précède le silence et l’acceptation, ne peuvent l’empêcher. Ils n’ont que leur présence à donner pour tenter d’équilibrer le balancier d’un destin qui veut que l’un sombre trop jeune tandis que les autres doivent poursuivre sans lui.
Cette absence impossible à combler mais avec laquelle il faut néanmoins s’arranger, Thierry Le Pennec l’écrit avec la force rentrée qu’on lui connaît et qui s’avère ici très efficace. Ses poèmes brefs, déhanchés, roulant pierre à pierre et portant avec eux tant de gestes simples, d’émotions, de réflexes, d’émoi, de chaleur sur la page, s’assemblent pour créer, au final, le plus beau tombeau qui soit : celui dédié à Nono, ce frère disparu qui restera présent aux autres tant que ceux-ci le seront à eux-mêmes, avec fidélité, dans leur quotidien et leurs souvenirs.

Thierry Le Pennec : Nono, éditions La Part commune.