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vendredi 12 avril 2013

Paul Valet

Paul Valet reste un poète méconnu. De temps à autre, un livre (ainsi celui que lui a consacré Jacques Lacarrière chez Jean-Michel Place) ou un bel hommage vient à point nommé attirer l’attention sur ce grand discret qui est décédé le 8 février 1987. Il avait 82 ans, une longue vie derrière lui, et des livres, une histoire, un parcours... Mais tout ceci tellement secret qu’il faut bien aujourd’hui commencer par le commencement.
Né en Russie en 1905, d’un père russe et d’une mère polonaise, Paul Valet a d’abord suivi sa famille en Pologne avant que son père ne décide, au début des années vingt, de l’envoyer étudier en France. Cette arrivée dans l’hexagone, c’est pour lui le coup de pouce du destin. Il va non seulement s’y adapter mais également aimer – et détester – assez ce pays pour le défendre – en tant que résistant en Haute-Loire pendant la guerre – et pour en devenir un citoyen à part entière en se faisant naturaliser.
Drôle de citoyen bien sûr. Certes intègre, intégré. Marié, père, médecin, etc. Mais derrière la façade sociale, il y a un sérieux remue-ménage intérieur, un vacarme qui s’entend et s’écrit.

« À la libération, lorsque je suis retourné chez moi, je me sentais complètement dépaysé. La clandestinité m’avait appris à vivre sauvagement comme un loup. Et ici, que je le veuille ou non, je devais rentrer dans le carcan administratif. La régularité est revenue avec tout le bordel. La plupart de mes camarades n’ont pu tenir le coup : ils se saoulaient du matin au soir, leurs femmes les quittaient. Nous sommes devenus des personnages inexistants ».

Un peu plus loin, dans le même entretien qu’il accordait à Guy Benoit, pour le Cahier que celui-ci lui a consacré au Temps qu’il fait, Paul Valet affirme ne s’être jamais remis et, évoquant sa première publication, Pointes de feu, intervenue dans l’immédiate après-guerre, il poursuit et explique sa nécessité d’écrire :

« Un besoin de résistance est né en moi, mais de résistance sur un autre plan – le plan poétique. J’ai senti un appel irrésistible de conformer ma vie à la poésie, sinon c’était la déchéance. »

Rien, dans l’écriture de Paul Valet, ne peut participer de quelque gratuité que ce soit. L’image est percutante. La réflexion chemine vers un but. Il oscille régulièrement entre le silence et le cri. Reconnaît l’existence en lui d’une pulsion poétique :

« Il faut qu’une angoisse s’empare de moi, que je subisse la poussée d’un flou inconscient dont j’ignore l’origine et le caractère. »

Ce qui attire, entre autres choses, dans cette œuvre, c’est la rencontre du lyrisme et de la concision. Semblant de prime abord échevelée, sa pensée parvient très vite à cerner ce qui la tourmente pour finir par fixer ces « tourments » dans un texte rond, vif, aiguisé comme une pierre dans laquelle il aurait réussi, on ne sait comment, à faire entrer tous les vents contraires qui peuplent son univers.
Son poème est d’ordinaire assez court. Avec des éclats, des chutes, des éclisses.

« Quand on est pour soi-même
une cible vivante
il est dur de viser juste. »

ou encore :

« C’est le contre-jour
envoûté
qui nourrit ma clarté. »

Pas étonnant que l’aphorisme sorte inopinément du torrent, poli par une longue pratique des mots que Valet aimait tourner et retourner dans sa tête.

Comme la plupart des pessimistes, il a appris, en s’y brûlant, jusqu’où aller dans son commerce avec la souffrance. Il connaît l’interstice infime où tout peut basculer. Mais il sait aussi que c’est en surmontant le doute qu’il redonne de l’éclat à sa révolte. De même, en grattant sans relâche, avec pour seule force d’appui sa conviction, l’homme, dit-il, peut espérer repérer, dans la noirceur du monde, d’étranges rais de lumière. Et s’y engouffrer.
Partant de là, de cet amas de contradictions, ouvrant plusieurs pistes – qui sont les routes de nos déserts et de nos solitudes – il livre une œuvre pleine, grave et ironique, dure et tendre à la fois et profondément humaine, à la portée de toutes les sensibilités, simple, forte, singulière.

"L’utilité et les succès mondains n’ont pas de prise sur moi. La poésie, telle que je la conçois, est servie la première. C’est ainsi et ainsi seulement, à travers les défaites et les victoires, que le poète demeure toujours debout, en plus que bons termes avec l’homme."

Celui que Cioran appelait « l’ermite de Vitry » fut également traducteur. On lui doit notamment la version française du Requiem d’Anna Akhmatova (Minuit, 1966). Il fut par ailleurs le premier à traduire Joseph Brodsky (seize poèmes publiés dans deux numéros des Lettres Nouvelles en 1964 et 1965) qui, âgé de vingt-cinq ans, purgeait alors une peine de cinq ans de travaux forcés dans un camp aux environs d’Arkhangelsk.

Pour en savoir plus sur Paul Valet, consulter le Cahier Cinq qui lui est consacré au Temps qu’il fait et lire les rares titres encore disponibles : Multiphages, (José Corti, 1988), Paroxysmes, (Le Dilettante, 1988) et Le Double attaquant (Mai hors saison, 1995).
Et bien sûr : Jacques Lacarrière : Soleils d’insoumission, J.M. Place, 2001.
Ne pas oublier le bel hommage que François Bon lui a rendu sur son site. C’est ici.