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vendredi 2 novembre 2012

Putain d'indépendance !

Kaddour Riad a dix ans quand le F.L.N. accède au pouvoir et proclame l’indépendance de l’Algérie. C’est ce qui se passe avant, pendant et surtout après ces moments de liesse populaire, où le vent de liberté qui se mettait à souffler semblait capable d’ouvrir en grand quelques fenêtres, qu’il raconte dans son premier roman. Il retrace à coups de courts chapitres, saisissant chaque épisode avec fougue, le fil d’une vie familiale qui se mêle étroitement à l’histoire récente du pays.

Partant de son enfance à Cherchell, au bord de la Méditerranée, entre les vestiges romains et la présence de plus en plus imposante de l’armée française, il adopte une écriture incisive et percutante, des phrases au souffle soutenu dans lesquelles il manie l’humour ou la dérision pour expliquer sa difficulté à trouver sa place entre une mère analphabète (« nationaliste dans le sang ») qui hurle, vocifère et l’insulte et un père taciturne qui officie en tant qu’écrivain public dans un café où il a sa table de travail.

« Au clin d’œil il fallait que j’obéisse. Elle me frottait les yeux, la bouche et les fesses avec du piment fort pour en finir une fois pour toutes avec mes diableries. “Tu veux que je te massacre ? Ton sang, je le boirai, espèce de charogne, chien, fils de chien, Juif puant, sauvage, risée de tes camarades !” hurlait-elle en me battant sauvagement. »

C’est cette éducation à la dure qui va lui permettre de se forger une vraie carapace en recherchant dans le mot « indépendance » une signification qui n’a rien à voir avec le sens que ceux qui se sont battus pour la libération du pays vont lui donner. Il comprend vite que la liberté, l’intime conviction et le libre arbitre qu’il assimilait si facilement à ce mot vont rester lettre morte. Il le dit à sa manière, n’occultant rien, plongeant brièvement dans le passé millénaire de l’Algérie pour tenter de comprendre l’élan collectif qui pousse ses proches à mettre en veilleuse leurs propres aspirations pour se soumettre aux lois dictées par un pouvoir qui, perpétuellement « en alerte maximale », multiplie décrets et interdits.

Kaddour Riad se montre tout à tour acerbe, critique, virulent, vigilant et moqueur. Ce dernier trait de caractère donne à son récit une grande liberté de ton. Rien ne lui échappe, et surtout pas ce genre de phrase sortie de la bouche « du chef suprême du tourisme et orateur redoutable » qui lors d’un discours enflammé déclare : « en 1962, nous étions au bord du précipice, aujourd’hui nous avons fait un grand pas en avant ! ». Il dessine, de même, le portrait de son père soudain transformé, travaillant dur, ne buvant plus, alignant en fin de journée les cinq prières qu’il n’a pas eu le temps de faire aux heures convenues. Il portraiture avec une férocité amusée ce voisin, « sergent de l’armée populaire, petit, nerveux, le visage barré d’une moustache réglementaire et sévère » qui se promenait « en tenue de combat, au marché comme au cinéma, (…) toujours à deux doigts de dégainer et mettre en joue tout individu non conforme aux orientations de l’heure nouvelle ».

Il fait défiler les présidents à bon rythme, assiste en 1965 à l’irruption de « l’armée du colonel Boumediene, illustre inconnu jusqu’alors, qui passait par là dans le but de renverser Ben Bella, premier président de l’Algérie à peine indépendante ». L’un disparaît sans laisser de trace, l’autre meurt de mort plus ou moins naturelle, un autre est rappelé in-extremis d’un interminable exil avant d’être exécuté lors d’une réunion publique. C’est cette histoire, la sienne autant que celle de son pays, qu’il tisse page à page, la faisant se terminer, ou plutôt la laissant se poursuivre sans lui, contraint de s’exiler en France, en 1991, à l’époque où « le dernier né des fronts, le Front Islamiste du Salut » montre sa force d’une manière plus radicale que les précédents.

« On assassina des étrangers sans défense, des chrétiens charitables et bien aimés de la population, des écrivains, des prostituées, des scientifiques, des journalistes, des artistes, des imams, des fonctionnaires, des paysans, des ouvriers, des supporters de football... »

Kaddour Riad, qui coproduisait alors l’émission radiophonique Sans pitié, née après les émeutes du 5 octobre 1988, comprend vite que l’heure est venue de traverser la Méditerranée, seule façon de garder son indépendance et de faire en sorte que son roman ne se termine pas sans lui.

 Kaddour Riad : Putain d’indépendance !, éditions La Contre Allée.