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dimanche 16 août 2020

Le coucou chante contre mon coeur

Invité, en compagnie d’Alain Roussel, dans le jardin de la Villa Beauséjour, Maison de la poésie de Rennes, le 17 juin 2017, Julien Bosc lit, en cet après-midi ensoleillé, des extraits d’un ensemble inédit, Le coucou chante contre mon cœur. Sa voix est claire et le bruit du vent dans le micro à peine perceptible. Seuls quelques oiseaux, nichés dans le cèdre au-dessus de la scène, poursuivent leurs échanges. Le public, installé en demi-cercle face au lecteur, est très vite happé par les mots et le souffle ample, modulé tel un chant, de celui qui le transporte loin du canal qui coule à proximité.

« N’avez-vous jamais vu ces vagues qui touchent le ciel ?
Ces rouleaux d’écume qui font naître les anges ?
Ces multiples couleurs d’un ciel bleu à l’autre en passant par des verts, des noirs, des gris ?
Ces voix graves aiguës venus de qui sait où ?
Ces chants d’un cœur qui conjurent l’impensable ?
Ces bruits de tous les diables ?
Le fin filet de voix de la tempête puis le silence immense ?
Ne les avez-vous entendus ?

Moi si
c’est pourquoi je chante
Sans rien inventer
Faudrait sinon de l’imagination
Ah bienheureux tous ceux qui la possèdent
Je la leur laisse »

Son poème se déploie par paliers. Il est remarquablement construit. Il porte en lui ce qu’il a vu, vécu, collecté, senti, ressenti. C’est ce texte, qui avoisine les quatre-vingts pages, qui est aujourd’hui publié par les éditions Le Réalgar. Mais sans la présence de Julien, décédé fin septembre 2018, pour en accompagner la sortie.

Ceux qui l’ont entendu lire se remémoreront le son et le rythme de sa voix. Les autres n’auront aucune difficulté à adapter leur respiration à celle qui émane de ce chant, de cette épopée traversée par la parole – une et multiple – de générations de défunts. C’est elle qui résonne en permanence. Elle vient de loin. D’époques diverses et de tous les continents. Ce qu’elle dit touche à ce terrible constat qui montre que des hommes, guidés par "leur morgue du différent leur cruauté ou leur lâcheté", en certaines périodes de l’histoire, s’assemblent et tuent. C’est cela que le poète énonce et dénonce.

« L’ivresse du pouvoir
Le dédain de la parole donnée
La compromission des maîtres
Le mépris vis à vis des plus pauvres
L’insanité des mieux pourvus
Les noyés dans l’indifférence
La déportation
Les camps
La mer cimetière
Que regretterais-je ? »

Ce sont les voix des victimes réunies qui font tenir la sienne. Pour dire les heurts, malheurs, exodes, rejets et multiples persécutions passées et actuelles qu’il ressent jusque dans son corps. Il sait ce qu’il en coûte de s’écorcher ainsi, d’injecter tant de douleur et d’injustice en soi, mais ne peut procéder autrement. Il lui faut transmettre. C’est la rude besogne qui lui incombe. "Pour qu’aucun des bourreaux ne puisse crier victoire". Cela passe par des scènes à décrire et à reconstituer. Par des retours sur l’innommable sans jamais s’épancher. Par des mémoires à revisiter et à honorer. Par des moments de grâce aussi, qui surviennent au plus fort de la détresse et de l’abandon, qui ne viennent pas des hommes mais de la présence bienveillante des oiseaux.

« Le geai des chênes s’est fait une raison et dort contre ma joue
Si je prends froid les hirondelles virevoltent autour de mon visage
L’évente évente tant que la fièvre n’est tombée
Si la mélancolie survient le coucou chante contre mon cœur
Si lui est dans la peine je le berce et console en attendant qu’il s’apaise
Ce que je dois à tous ?
La fraternité que le monde a perdue
La tendresse sans forcément demande immédiate de retour
N’oubliant pas ce qu’eux seuls savent offrir :
Une multitude de couleurs afin de réjouir l’âme et déchirer la nuit »

Il faut lire, entendre, saisir, écouter cette voix qui vibre en ne lâchant rien. Son chant est intemporel. Il porte loin. Se joue des frontières et s’adapte aisément à la transmission orale. C’est celui d’un homme humble et déterminé. Qui se donne tout entier.

 Julien Bosc : Le coucou chante contre mon cœur, postface de Jean-Claude Leroy, éditions Le Réalgar.

On peut faire plus ample connaissance et poursuivre la route avec Julien Bosc en se rendant sur le site Tiens, etc.

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lundi 4 avril 2016

De la poussière sur vos cils

Ce sont des mots simples, justes et précis. Qu’il a d’abord fallu aller chercher dans les mémoires, puis assembler pour revenir sur des faits que l’auteur n’a pas vécu mais dont il est néanmoins l’un des dépositaires. Redonner voix à ceux qui ne l’ont plus (en l’occurrence « elle et lui ») en remontant le temps en leur compagnie est sa mission première.

« Elle (avalant une dernière fois sa salive) :
Où sommes-nous ?

Lui (vide) :
Non loin du mur.

Où est le mur ?

Ici et là.

Elle regarda.
Elle cria
(dans son ventre ou sa poitrine elle a crié – heurtée par sa mémoire). »

C’est ainsi que débute le livre de Julien Bosc. On perçoit, d’emblée, que ce commencement est en réalité synonyme de fin pour ceux qu’il évoque. Il les fait dialoguer et aide à entrevoir ce que « le miroir sans tain de la souvenance » n’a pas totalement réussi à effacer. Quand celui-ci s’est brisé, il ne restait rien (si ce n’est un filet de voix, un écho lointain) de ces deux corps démantibulés. Qui avaient toutefois, auparavant, donné vie à ceux qui, de génération en génération, porteraient, quoiqu’il arrive, cette souffrance en eux.

« Quelqu’un cette nuit écrit à partir d’une mémoire qui n’est pas la sienne mais lui appartient cependant car par lui il nous est offert de n’être plus oublié, puisqu’il vit dans notre souffrance. »

Cette souffrance n’est pas simplement décrite et portée : elle est transcendée, expulsée, non pas oubliée (« comment pourrions-nous oublier, où trouverions-nous le droit d’oublier ce que nous ne pouvons raconter ? ») mais ciselée pour pouvoir enfin passer d’un corps (d’une tête, d’une mémoire) à l’autre en devenant de plus en plus apaisée. Pour se tenir droit, debout, sans trembler et sans ciller devant les exterminateurs d’hier. Ou de demain.

Ce qui frappe dans ce livre (que l’on sent patiemment pensé, posé, tissé), en plus de la douceur des voix qui s’expriment, c’est la générosité de celui qui, souffrant avec les victimes – et notamment celle, très proche, qui fut hospitalisée, bien des années plus tard, suite à ces déflagrations à retardement – parvient, par ses mots, par sa façon de toucher le paysage et par les dialogues (d’outre-vie) qu’il instaure, à insérer une fragile humanité là où il n’y en avait évidemment pas.

 Julien Bosc : De la poussière sur vos cils, éditions La Tête à l’envers