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lundi 12 juin 2023

Lieux

Les lieux que Jean-Paul Bota affectionne tout particulièrement sont ceux qui l’incitent à partir sur les traces des artistes (peintres et écrivains) qui l’ont précédé dans les rues, ports, quartiers, bars, échoppes, impasses ou recoins urbains qu’il visite, parfois quelques siècles plus tard, en flâneur averti et pointilleux. Il se rend là où ils ont vécus. Où ils ont exploré une partie de leur monde intérieur et extérieur. Où ils ont fait œuvre, se mêlant aux autres, scrutant la ville, les hommes, leurs habitudes, leur détresse, leur faiblesse, pris dans les soubresauts de l’histoire ou postés seul face au paysage, aux vents, à la brume, dans la grisaille, sous la pluie ou au soleil, de jour comme de nuit. Il se rend également là où perdurent les preuves irréfutables de leur passage sur terre : dans les livres et dans les musées, ses autres lieux de prédilection.

On le retrouve ainsi à Londres, à la Tate Britain, carnet et stylo à la main, en train de questionner Turner qui le fascine, et qui fut lui-même, sa vie durant, fasciné par la force des éléments, leurs déchaînements, les coups de vent, les ciels en charpie, les mâchoires de l’océan mordant la coque d’un cargo. Il fixe Tempête de neige. Se souvient de la légende qui dit

« que Turner aurait lui-même affronté la tempête et conçu le tableau accroché tel Ulysse à l’affront des sirènes solidement au mât d’un bateau par des marins comme il l’a plus tard raconté ».

Ensuite, passé le concert des klaxons, longeant des murs sombres, il fait un détour vers le vieux cimetière où repose Constable. Il revoit ses paysages, ses orages, ses moulins, ses arc-en-ciels, repère des parentés stylistiques avec Rubens ou Monet. Poursuit ses pérégrinations jusqu’au British Museum. Insatiable, il interroge, note, capte des détails, sait que toute œuvre dissimule des secrets qu’un œil, même avisé, ne capte que partiellement.

« Le moulin d’Hampstead Heath with a raimbow, descendant à l’esprit le père de Constable un riche meunier qui répugnait à laisser son fils s’embarquer dans une vie qu’il jugeait hasardeuse, ce pourquoi Constable n’entamera qu’assez tard une carrière artistique. »

Laissant Londres derrière lui, l’auteur, scrutateur scrupuleux, nous emmène à Lisbonne. Là-bas, c’est Pessoa qui le guide. Ses hétéronymes sont également de la partie. Tous déambulent en ville. Et meurent le même jour, dans la même chambre d’hôpital.

« Sa dernière phrase parlée Où sont mes lunettes ? »

L’écriture de Jean-Paul Bota est volontairement elliptique. Elle se nourrit de notes, d’impressions, de suggestions, de bribes d’émotions, de fragments de mémoire, de descriptions brèves et des citations glanées çà et là qui s’enchâssent et attestent de son lent cheminement, de son avancée par à-coups dans les pas des créateurs qui suscitent sa présence sur place.

Après Lisbonne, il part à Nantes. La ville lui est familière. Elle est extrêmement littéraire. Il la redécouvre à chaque visite. Relit les écrivains qui ont sillonné ses rues. Se sont imprégnés de la douceur ambiante et de l’invitation au voyage qui suinte des quais de Loire. Sa bougeotte le mène ensuite à Vertou. Puis dans d’autres villes, d’autres gares, d’autres musées, d’autres livres. On le quitte à Chartes, "Chemin de Mémoire", à proximité de la gare, où il continue de dialoguer avec ceux qui ne sont plus mais dont il sait qu’ils ont encore beaucoup à dévoiler et à transmettre.

Jean-Paul Bota : Lieux, éditions Tarabuste.

samedi 21 septembre 2019

Chartres et environs

Nul besoin de connaître Chartres et ses environs pour se repérer dans les textes (poèmes et proses) de Jean-Paul Bota. Sa façon de se promener en posant son regard là où il sait trouver de quoi nourrir sa curiosité permet à qui souhaite le suivre de se familiariser aisément avec les lieux. Il les as longuement fréquentés, s’en est imprégné, a découvert leur histoire, les a vus se transformer et les redécouvre à chaque visite sous un angle différent. Ceux qui (célèbres ou anonymes) sont passés là avant lui et qui y ont laissé leur empreinte restent ses meilleurs guides. Raymond Isidore, qui fit de la mosaïque avec des débris de porcelaine et de la vaisselle cassée, que l’on moquait, que l’on surnommait « pique assiette », qui fit œuvre chez lui, décorant avec ses bouts de verre l’intérieur et l’extérieur de sa maison (la maison Picassiette, désormais classée Monument Historique) est évidemment l’un d’entre eux.

« À converser Dubuffet l’art brut, le quartier du cimetière de Saint-Chéron, la maison de Picassiette où lui Raymond Isidore dit et 1930, proche l’actuelle rue du Repos où il débute de construire sa maison, à dire durant près d’un quart de siècle celle-là même qu’il recouvre, parois intérieures et extérieures et pareillement les dallages de la cour, de bris de vaisselle multicolores issus de décharges publiques ou des salles de ventes, »

Les peintres sont, comme toujours chez J.P. Bota, très présents. Beaucoup se sont attaqués à la célèbre Cathédrale (« Surgie en mémoire Cathédrale d’Utrillo. Pierre illuminée des reflets du soleil au déclin du jour ») pendant que d’autres se frottaient à la plaine, à l’immensité de la Beauce. Vlaminck, le « colosse d’Eure-et-Loir » fut l’un d’entre eux. Chaïm Soutine également, qui séjourna régulièrement à Lèves, chez Madeleine et Marcellin Castaing. Il y réalisa de nombreux tableaux dont La Cathédrale, Les Escaliers, La Route des Grands-Prés.

« L’hiver, il faisait très froid. On faisait des feux magnifiques dans la cheminée de ma chambre. Moi je me couchais, Marcellin et Soutine se mettaient de chaque côté de la cheminée et on restait à parler peinture jusqu’à deux heures du matin » (Madeleine Castaing).

Jean-Paul Bota fouille dans les interstices. Il va de rues en ruelles, de portes en cours, de places en venelles en quête d’un chapiteau Renaissance, d’une rosace particulière, d’une sculpture étonnante ou d’une maison romane à découvrir. Il chemine le stylo à la main, se remet volontiers en tête tel ou tel musicien qui l’accompagne, note ce que son regard happe et le relie à sa connaissance des lieux. Une autre main, celle de David Hébert, prend le relais pour dessiner, avec justesse et simplicité, nombre des façades, figures, détails, ponts, statues, édifices, poutres, gargouilles, échauguettes, vitrines, toits et moulins qui apparaissent au fil de ce périple en ville et alentour.

Jean-Paul Bota & David Hébert : Chartres et environs, carnets nomades, éditions des Vanneaux.

lundi 24 avril 2017

La boussole aux dires de l'éclair

Jean-Paul Bota peut se promener avec la même aisance, la même ardeur, heureux d’y passer des heures, dans un paysage comme dans un tableau. Ce poète curieux, jamais rassasié, ne se déplace pas sans avoir un carnet à portée de main. Il y note ce que son regard lui dicte mais également ce que sa sensibilité, alliée à une mémoire en éveil, lui transmet. Quand il n’arpente pas musées ou galeries, il sillonne les rues des villes qui lui sont chères ou s’immerge dans des livres qui comptent également beaucoup pour lui. Ce sont des centaines de fragments extraits de cette grande déambulation à la rencontre des autres, ou tout au moins de leurs œuvres, qu’il donne à partager dans ce nouveau livre.

On le suit de Londres à Lisbonne en passant par Nantes, Chartres ou Venise. Partout, il trouve ce qu’il cherche. Des pépites qui ne sont parfois que des détails qu’il capte dans une toile et qui, instantanément, lui rappelle une scène antérieure ou un épisode de la vie d’un peintre. Se créent ainsi des liens entre ce qu’il voit, ce qu’il ressent et ce qu’il sait. Sa connaissance des uns, des autres, n’est jamais étalée mais au contraire discrètement distillée dans des séries de proses ou (plus rarement) de courts poèmes qui emportent le lecteur là où il n’a, la plupart du temps, jamais mis les pieds.

« L’enterrement de Soutine, parmi les rares personnes qui accompagnent Marie-Berthe Aurenche (elle dit) accompagnant le cortège funèbre, parmi les rares personnes, Max Jacob, lequel sera arrêté quelques mois plus tard et mourra à Drancy, et Picasso. D’après Mlle Garde présence de Picasso Cocteau et Michonze »

Le livre devient au fil des pages une mosaïque qui s’agrandit démesurément, attirant le regard, lui demandant d’exercer son acuité tout en lui permettant de se reposer. De nombreux extraits de textes introduisent la lecture de ces « exercices sur des lieux » qui ouvrent une multitude de fenêtres. Toutes donnent sur des espaces de vies, de paysages, de lumières. Jean-Paul Bota, qui les entrouvre délicatement, y met également un peu de son être intérieur et, secrètement, quelques bribes d’un passé qui se revivifie en se frottant au présent.

« Les bulletins de salaire auréolés de Vieux Papes
Sur la toile cirée
La lumière comme envieillie
De l’ampoule
Quelqu’un referme les volets
Dans la cuisine humide
C’est proche un poêle à charbon
Avec une odeur de peau d’orange brûlée
Et le chahut d’un couvercle dessus la casserole »

Les suggestions sont omniprésentes et les passerelles entre littérature et peinture multiples. Le lecteur y chemine à son rythme. Souvent avec lenteur. En faisant, à l’instar de l’auteur, de fréquents retours en arrière. Pour revoir, ajouter, préciser. Toucher avec tact ce qui parfois (dans un tableau, un livre) semble se dérober pour mieux nous interpeller.

Jean-Paul Bota : La boussole aux dires de l’éclair, éditions Tarabuste.

lundi 10 octobre 2016

La pluie à la fenêtre du musée

Jean-Paul Bota est un flâneur un peu particulier. Il arpente – carnet de notes à la main – les musées comme d’autres les sous-bois et l’étonnant est que les premiers l’aident à retrouver assez souvent, et instantanément, la fraîcheur ou la pénombre des seconds. « Quelqu’un en moi s’éloigne », dit-il, quelqu’un qui profite sans doute d’une fenêtre entrouverte dans l’œuvre qui lui fait face pour se porter au dehors en un clin d’œil.

Il débute ses promenades improvisées par un éloge de la sieste, qu’il pratique tous sens en éveil, convoquant pour cela quelques tableaux qu’il garde gravés dans sa mémoire et qu’il se repasse pour l’occasion. Ce peut être un couple de paysans allongés près d’une meule (et surpris par Van Gogh, à Saint-Rémy, en mai 1890), ou une Femme étendue sous un arbre, peinte par Soutine, ou une autre, alanguie, vue par Matisse dans un intérieur à Collioure, ou certaines des siestes saisies par Bonnard, avec chaise longue et table garnie de sortie, ou encore celles, champêtres et apaisantes, sous les arbres, près des vaches, restituées par Courbet à la période des foins sur les hauts-plateaux du Doubs. À chaque fois, le temps se fige, les montres font relâche et l’écrivain poursuit sa route en se rendant en zigzag du côté de Montparnasse, de Pont-Aven, de Port Lligat ou de Lascaux.

Il circule à travers les siècles en changeant aisément de lieux et de saison. Et ce grâce aux artistes qu’il visite. À l’atelier ou au musée, sans oublier de brèves incursions dans leur vie secrète, le temps de ramener à la surface des anecdotes ou des éléments biographiques. Il s’étonne, s’exclame et ricoche d’une œuvre à l’autre sans en dire plus qu’il ne faut. Ses annotations restent concises. Il les aligne avec une vivacité fébrile, en une sorte de coq à l’âne qui bruisse de savoir et de curiosité. Cela donne un ouvrage très foisonnant. Ciselé par un auteur discret et généreux qui va chercher les pépites là où elles se nichent, sachant qu’il y trouvera également une part de lui-même, celle qui se cache entre enfance, imagination et mémoire des lieux habités.

Jean-Paul Bota : La pluie à la fenêtre du musée, dessins de Jacques Le Scanff, PROPOS2 éditions.

Logo : Henri Matisse, Intérieur à Collioure (La Sieste), 1905.