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mardi 21 août 2018

Territoires approximatifs

Il y a longtemps que Jean-Christophe Belleveaux parcourt le monde, tout particulièrement l’Asie et l’Afrique. Sa solitude et sa mélancolie l’accompagnent. Il s’arrête là où bon lui semble. Ne cherche pas l’anecdote, le personnage atypique, le paysage étincelant. Ce n’est pas cela qui l’attire. Il se pose. Redouble d’attention. Se frotte aux murs lézardés, traverse les places, se glisse dans la poussière des rues, écoute le brouhaha d’un marché, d’un café, d’un port et en extrait des vignettes où apparaissent fugitivement quelques uns des lieux où il s’est arrêté.

« Er Riadh

dans le dépouillement de la poussière, l’évidence de la route et de son terme éclabousse : friperie à même le sol, lentilles séchées, sacs ventrus d’épices et de graines, pois cassés, moutons, vent de sable, murs blancs

l’innocence et la faute indissolubles : une seule huile pour la lampe »

Il circule « dans l’espace étroit du monde ». Se déplace avec légèreté, presque incognito, arpente les rues d’Ambarita ou de Tunis ou encore de Zaafrane ou de Chiang Khan et note ce qui, instantanément, aiguise ses sens.

« Teluk Dalam

on se tient dans l’impermanence, l’avéré d’un cargo au port, l’odeur forte des poissons qui sèchent sur le sol, soi-même un morceau parmi les couleurs, c’est bien peu, c’est une vie qui s’emplit de ce qu’elle est, qu’on ne sait dire le plus souvent » 

Les territoires qu’il explore ne sont pas uniquement extérieurs. Le livre débute par un texte à flux tendu, une prose à plusieurs étages, intitulée « Fusée », où il se retrouve pris dans les méandres de son cadastre intérieur. Le cheminement s’avère dès lors plus douloureux. Il lui faut composer avec ses angoisses et ses peurs, les traverser et les réduire pour pouvoir tenir. Et c’est l’homme à vif, jamais plaintif mais furibond, en colère, qui s’interroge, essaie de comprendre, s’en remet aux mots pour exprimer ce qu’il vit et ce qui l’étouffe.

« écrire, nommer,
non pour donner plus de consistance au réel mais, dans ce décalage entre la chose nommée et l’écrit qui la désigne, pour donner du jeu, un espace où cesser d’étouffer » 

Si le mal-être enraye parfois son désir de partir, il est un autre élément qui fait – ou a fait – de lui, à un moment donné de son existence, un voyageur contraint à l’immobilité physique. C’est l’enfermement. Entre quatre murs ou en soi. Ce qui fait d’autant plus bouillir sa langue, et lui avec, qui se tend, s’échappe à sa façon et rue dans les brancards, tout au long de « prison(s) » , ultime texte du livre, prose percutante, entêtante et forcément inquiétante.

Jean-Christophe Belleveaux : Territoires approximatifs, éditions Faï fioc.

samedi 22 août 2015

Démolition

Il y a, en fil continu, dans ce recueil de poèmes de Jean-Christophe Belleveaux, (construit à partir d'éléments issus d'une déconstruction / démolition de quelques uns de ses recueils précédents) de la hargne, de la colère, des nerfs à vif, de l’impulsivité mais aussi une volonté de comprendre le mécanisme inquiétant de ce trop-plein de douleurs qui peut parfois modifier la perception de la réalité. Ces risques, pour le moins perturbants, l’auteur les connaît mais ne veut (et sans doute ne peut) pas les éviter. Il les traverse avec fougue en décidant de se colleter le monde tel qu’il est : peu fiable, peu audible, en guerre, affamé, grand dévoreur de vies.



« mettez donc un bémol à mon sang,
jaugez si vous pouvez : tout déborde,
à commencer par la langue
qui est elle-même au commencement. »

La langue, usuelle, qu’il adopte est tendue et directe. Aux abois, en rupture d’artifice. Ne recherchant pas plus la métaphore que le jeu de mots subtil. Elle est là pour dompter l’effet solitude tout en lui laissant assez de champ pour dire avec réalisme ce qu’il advient d’un homme qui se trouve debout sur une digue au moment même où celle-ci s’écroule, quand tout autour les fondations s’affaissent, quand le monde intérieur brûle aussi vite que celui du dehors, quand l’implosion menace, quand le burn-out demande sa part de cendres... C’est à cela, à cette déconstruction, bloc après bloc, d’un être qui ne se verrait bientôt plus que sous forme de fantôme errant en divers lieux de la planète que s’attache Jean-Christophe Belleveaux.

« je n’enflamme pas le coin
de la feuille de papier
je ne défenestre pas
mon envie de crier
j’aligne,
je fais avec. »

Si sa lucidité ne le rend pas plus serein, elle lui permet en revanche d’exprimer une souffrance légitime en la rattachant à celle des autres, en la minimisant (face à l’innommable), en la détournant aussi, en n’hésitant pas à se moquer de lui-même.

« ça s’effrite dedans, ça craque
et l’écriture jette ses oiseaux noirs
sur la page étale

vont finir par croasser idiotement
les mots »

On sent qu’il se tient à distance respectable du lyrisme. Celui-ci pointe parfois sa truffe humide. C’est un chien sympa qui gambade loin devant. Il n’est pas prêt à le suivre. Coupe court à ses élans. Et coupe également chaque poème d’un coup sec, avec en bout de texte un dernier vers en suspens qui évite la chute. Il choisit de rester concis et concret jusque dans ses doutes, ses fissures, ses plaintes, ses tentations extrêmes. Ne pas mollir, et ne pas, non plus, se démolir, l’aident assurément à aller de l’avant. Ce livre l’atteste.

 Jean-Christophe Belleveaux : Démolition, illustrations Yves Budin, Les Carnets du Dessert de Lune.