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mercredi 5 décembre 2018

L'Anxure


Guy Benoit, dont le premier ensemble, Interminable sang, a été publié en 1968 chez Millas-Martin est de ces poètes inclassables et irréguliers (où se retrouvent quelques uns de ses amis disparus tels Paul Valet, Théo Lésoualc’h, Serge Sautreau) qui suivent une route étroite, secrète, peu fréquentée, qu’ils ont âprement défrichée et balisée. Il œuvre à l’ombre et à l’écart. C’est là qu’il construit des livres rares et exigeants où la mort, imprévisible, tapie dans un terrier ou arpentant les bois et les terres, veille en se montrant étonnamment vivante. Il y a des années qu’il se prépare à l’accueillir.

« je m’attends au tournant
et à l’intense finitude
des gens sur terre

la seule chose

 confondue

 à nos sueurs froides »

Cette mort qu’il questionne lui est familière. Elle l’accompagne. Invisible, elle conquiert un territoire intérieur tout en se promenant en extérieur. Il arrive qu’elle se libère, qu’elle aille prendre l’air tout en restant présente en lui grâce aux ondes, aux connections et aux pensées qu’elle génère. Elle bouge et émiette un peu de cette matière du corps qui, bien que vivant, se désagrège, se transforme, devient poussière avant l’heure en se mêlant aux ronces, aux herbes et aux arbres. Elle peut même offrir, à défaut de cendres, les traits d’un visage en reflet aux eaux de l’Anxure, cette rivière qui coule en Mayenne et qui donne son titre au livre.

« J’anticipe

 autour d’un paysage

 faiblement lettré

comme le sang dans les veines
nous donnerait une bonne raison »

La mort (jamais macabre, plutôt conciliante) n’est pas la seule à rendre régulièrement visite à Guy Benoit. La nuit tape également au carreau et se fraie volontiers un chemin dans ses poèmes. Elle est claire, presque brumeuse, scintillante d’étoiles, porteuse de nouvelles du cosmos, habitée par le hululement de la chouette, glissant parfois ses feux follets sous les paupières lourdes du dormeur, devenant souvent le terrain de jeu favori de la camarde.

« nos sommeils
ne somnolent qu’à moitié

d’une proche parole

dans le plus pur style
d’une mort annoncée »

Il se tient constamment sur le qui-vive. Guette les sautes d’humeurs de celle qui rôde (« sous un ciel noyé / de reflets d’ardoises, ma mort / se prépare à mourir »). Capte ses avancées dans la pénombre. Ou dans des rais de lumière. Il sait qu’elle a des millénaires d’existence derrière elle et qu’il ne peut l’évoquer qu’à mots pesés, avec brièveté, en vers coupants, en ajustant sa pensée au monde végétal qui l’entoure et à la fragilité des vies éphémères qui participent à la « parade des planètes / de chaque côté du souffle ».

Guy Benoit : L’anxure suivi de Exercices de guerre lasse, Pas tout à la fin et La salle du bout, préface de Jean-Claude Leroy, gravures de Maya Mémin, éditionsLes Hauts-Fonds.

jeudi 11 juin 2015

Ma mort, reconnaîtra

La mort dure longtemps. Et quand elle débarque, emportant tout, il est déjà trop tard pour savoir de quel bois elle se chauffe, et vers quelle étoile elle s’en va, et qui sont les oiseaux qui l’accompagnent, et que sont devenus entre ses doigts ces 21 grammes qui manquent au corps au moment du pesage final.

« j’invoque un droit
d’asile

faute de savoir »

Il est préférable, afin de mieux la connaître, d’improviser au préalable un bout de chemin à ses côtés. Ceci est rendu d’autant plus facile qu’il lui arrive fréquemment de rôder dans les parages de toute vie, émettant çà et et là des signes concrets, délivrant quelques messages cousus de fil blanc, passant de l’ombre à la lumière en adressant un clin d’œil à celui à qui elle n’accorde d’abord que de courtes visites de courtoisie.

À lui de saisir le sens de ces approches, de s’en imprégner, de se préparer. C’est ce que fait patiemment Guy Benoit. Il sait qu’il faut « mourir à point ». Ni trop tôt, ni trop tard. Avec en tête l’idée que « les morts continuent de mourir ».

« l’incertain
ne s’arrête jamais

subtil

vaporeux

derrière le voile
des absents »

C’est là qu’il aime se tenir. Debout. À l’affût. Regardant la faucheuse vaquer avec méthode tout autour. Elle le frôle. Elle passe d’un versant à l’autre. Elle s’apprête à jeter un pont entre les deux rives. Il la voit, la sent, l’interroge. Il en parle avec calme. Avec des mots simples, légers et flexibles. Ne cachant pas la tension qui monte en lui et qui s’échappe parfois de son corps pour s’en aller jouer avec l’apesanteur, là-haut, entre les bruissements des fauvettes en balade et le crépitement des étoiles qui « brûlent les morts ».


Guy Benoit : Ma mort reconnaîtra (sans qu’on sache le versant), fusains de Marc Girard, Les Hauts-Fonds.

Né en 1941 à Laval, Guy Benoit a publié une quinzaine de livres en un peu plus de quatre décennies. Il est le créateur de la revue et des éditions Mai Hors saison où se retrouvent, entre autres, Francis Giauque, Théo Lesoualc’h et Paul Valet.