Affichage des articles dont le libellé est Alice Massénat. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Alice Massénat. Afficher tous les articles

vendredi 23 mai 2014

La Vouivre encéphale

Elle préfère se tenir résolument à l’écart, loin de l’air du temps (ne cherchez pas son nom dans les anthologies) mais sa voix s’affirme, au fil des rares parutions, comme l’une des plus surprenantes qui soient, reconnaissable entre toutes grâce à ces inflexions quasi instinctives qui la font passer en un éclair du chant au cri, du vous au tu, du murmure à la colère, du sarcasme à la caresse ou de l’imprécation à la rugosité des jours ordinaires. Son poème est un joyau qui brille dans le noir. Sa façon de l’aiguiser, de le polir, de lui donner relief et phosphorescence est mystérieuse. Où va-t-elle chercher ces associations étranges nées, semble-t-il, de mots qui décident de mêler leurs sonorités en ne visant pas la métaphore mais en mettant leurs syllabes en commun pour que corps et cerveau répondent aux mêmes pulsions...

« je hais les prophètes en anathèmes
qui s’enivrent tant de griffes pris de berlue
je voudrais simuler, détaler, m’agripper
sans cosmos mais qu’y puis-je »

Sa mémoire transforme ce qu’elle a en réserve et distille, par bribes, des lambeaux de vie, d’espoir, de désirs qu’elle réactive en solitude et qui ont presque tous comme point commun un amour contrarié, empêché mais réinventé et vécu au centuple par celle qui sait ruer dans les brancards en ne lâchant rien, en montrant vivants et morts aux prises dans des poèmes qui se dirigent à la godille vers une même ligne d’horizon.

« Tu me balafres
et tout s’emporte
cadavres inconditionnels
Je jouerais bien aux os qui s’éparpillent
sur quelque plage que ce soit
avec eux, ma douleur
et de mes doigts ne reste que du verre »

Le lexique qui est le sien, et qui vient parfois d’un autre siècle, convoquant limbes, gargouilles, sépulcres, tréfonds, pal et mandragore, tend au plus juste l’angle et la pierre d’attaque du texte. Si celui-ci suinte, elle s’empare en un quart de tour du buvard, s’il est sec elle y ajoute de la salive ou tout autre liquide né du corps. C’est celui-ci, chahuté, debout face au vent, avançant au bord du vide, qui impose ses heurts, ses troubles, ses secousses aux poèmes. C’est lui aussi qui doit composer avec l’à-vif des nerfs qui, tour à tour, se vrillent ou retombent. La peur qui souvent s’invite dans les livres d’Alice Massénat laisse peu de place à la quiétude ou au rêve.

« Avoir sans cesse cette peur qui me ronge
que ce soit de moi ou de l’autre
jusqu’à vieillir »

Son salut réside en ces corps à corps intenses qu’elle improvise régulièrement avec l’écriture. Cela l’aide à dépasser, langue tendue, maîtrisée, syntaxe souple, capable de laisser sur le carreau plus d’un styliste, le réel et ses manques en créant des liens inamovibles avec ceux (morts, lointains ou trop silencieux) qu’elle aime. Elle le dit avec fougue. Provoque, pousse l’autre dans ses derniers retranchements. Et se dresse, ose, attend, se donne.

Venant après Le Catafalque aux miroirs (Apogée, 2005) et Ci-gît l’armoise (Simili Sky, 2008), La Vouivre encéphale vient confirmer, s’il en était besoin, que cette voix poétique que Pierre Peuchmaurd disait « tantôt d’oracle barbare, tantôt de petite fille soumise – mais soumise aux seuls dieux des pires fatalités, au désarroi des rues, aux après-midi noirs » – est bien l’une de celles dont il convient de prendre enfin toute la mesure. En l’écoutant et en la réécoutant. Pour découvrir l’élan, la fragilité, la gravité, les ombres incarnées, les subtilités et les évidences qu’elle recèle.


 Alice Massénat : La Vouivre encéphale, Les Hauts-Fonds.


lundi 21 juin 2010

Ci-gît l'armoise

Si discrète que soit celle qui avait publié en 1993 L’homme du sans-sépulcre (Editions Wigwam), sa voix n’en demeure pas moins forte, vibrante, cinglante. Ci-gît l’armoise, sorti il y a un peu plus d’un an chez Simili Sky, s’ouvre sur un désordre perturbant et fragile qu’elle ne cesse d’empoigner à bras le corps, conjurant ses peurs en préférant l’attaque à la soumission.

« J’ai un corps qui me ronge et ne sais plus où virer ».

Elle esquive, contourne les obstacles, sait faire bloc avec des mots rares ou ordinaires qui tiennent dans un poing fermé. Reste dès lors à trouver sa cible et à frapper juste. Ce qu’elle fait avec hargne et vigilance. Les coups qu’elle porte ne sont jamais dirigés au hasard. La violence qui s’immisce dans ses poèmes ne gicle qu’avec parcimonie.

«L’huître s’effleure / se caillasse à bourrelets de franges / et tandis que de sa main, de son extrême regard / je ne suis plus là / la rogne gronde / à corps retranchés. »

Il y a chez Alice Massénat une tension très élevée (qui s’empare également du lecteur) mais qu’elle réussit, dans ce livre plus que dans les précédents, à atténuer pour créer des zones d’accalmies qui peuvent s’attarder « jusqu’aux voiliers à l’approche » ou s’en aller épouser « cette histoire du dard caracolant de bris en rafles ». Moments
de calme relatif avant que la colère ne refasse surface pour attaquer, griffer, fustiger à nouveau.
« Je hais jusqu’à ces mecs / tripes à valoir / seins en potence se refusant / ne se préservant qu’à bout de souffle / cancaneurs je vous le dis. »

Alice Massénat a également publié Le Catafalque aux miroirs (Editions Apogée).

Alice Massénat : Ci-gît l’armoise, Editions Simili Sky (Véronique Loret, 9 rue Garibaldi – 93400 Saint-Ouen).