mardi 20 octobre 2015

Michel Dugué

Notre première rencontre se fit à Romillé, en octobre 1983, dans l'atelier de Yves Prié, éditions Folle Avoine, chez qui Michel Dugué venait de publier Une escorte très nue. Nous avons, ce jour-là, peu échangé mais assez toutefois pour convenir d'un prochain rendez-vous. Celui-ci eut lieu à Rennes, au bar Le Saint-Just. J'avais auparavant lu son livre, découvrant une écriture que je n'avais pas l'habitude de côtoyer. Elle était sobre, précise, ciselée. Elle laissait de côté le lyrisme. Elle ne cherchait pas à séduire. Et pas plus à s'inscrire dans l'air du temps. Elle s'ancrait dans des paysages qui m'étaient familiers. En bordure de mer, sous des ciels changeants, entre pierres et landes, dans des lieux austères où sa mélancolie trouvait à s'aiguiser et à s'effriter au contact d'éléments bien plus forts qu'elle. 

Ce bras-le-corps qui ne disait pas son nom, cette lutte à fleurets mouchetés, cette confrontation qui ne pouvait jouer qu'en sa défaveur s'il n'y mettait pas sa réflexion, son humilité, ses instincts d'homme sensible, sa quête de sagesse et sa conscience de ne fouler ces territoires millénaires qu'en marcheur éphémère (en ombre passante) m'accompagnèrent tout au long de la lecture. Le mot silence revenait avec régularité. Ce silence, il l'imaginait blotti à l'intérieur des pierres. Ou porté par les vents sur l'île d'en face, occupé à mâcher du ressac à longueur de temps.

« Mon île ne règne pas,
sa clarté n'est pas évidente,
d'une lande elle a fait le monde
qui bouge à la crête des eaux. » *

Cette île, dont il me parla assez souvent, je ne devais la découvrir (son nom, son rôle, ses reliefs, ses secrets) qu'un peu plus tard, en lisant Un hiver de Bretagne, roman intensément habité, prenant racine au plus profond d'un imaginaire collectif confronté à une réalité on ne peut plus brute (l'échouage d'un supertanker sur les côtes bretonnes et le désastre qui s'ensuivit), d'un bout à l'autre porté par un souffle ample et soutenu que je ne soupçonnais pas jusqu'alors chez lui.

Nos rencontres n'ont jamais cessé. Presque toujours au bistrot. Où il parle rarement de ses propres textes. Il préfère évoquer Georges Haldas, Yves Elléouët ou Miguel Torga. Il n'élève pas la voix. Il est posé, mesuré. S'adonne volontiers à la lenteur. Le discret qu'il est, et qui ne s'épanche jamais, souhaite d'abord donner en partage ses livres – qui sortent avec parcimonie, un tous les six ou sept ans – et laisser le lecteur libre de cheminer à sa convenance. À lui de ressentir, d'interpréter, de réfléchir et de s'interroger en ne prenant en compte que le texte, et le texte seul.

« C'est ainsi
celui qui regarde
ne peut dire autre chose.

Notre seul pouvoir, peut-être, est d'accompagner ce qui se répète. » **

Il cherche en permanence l'angle de vue adéquat et la bonne distance. Sait qu'il est bon de se mettre en retrait. Et aime à l'occasion s'effacer. Derrière les éléments, les êtres, la mer, la mémoire, le paysage. Ce qui ne l'empêche pas d'exprimer, au contact du dehors, ce qu'intérieurement il ne cesse d'explorer. Pour ne pas succomber à ce satané fatalisme qui affleure parfois, pour capter plus de lumière, pour trouver l'apaisement dans la continuité d'un parcours qui est celui d'un être aux aguets qui entend garder pour lui quelques uns de ses secrets.

*Une escorte très nue (Folle Avoine, 1983)
**Le salut à l'hôte (Folle Avoine, 1989)

Vient de paraître : Spécial Michel Dugué, Encres Vives n° 445 (2 Allée des Allobroges 31770 Colomiers)


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