samedi 23 juin 2012

Bonheurs d'Olivier Larizza

Il suffit d’ouvrir l’un de ses livres au hasard, ce peut être L’été, l’éternité (Chambelland, 1970), ou Oh, dites-moi si l’Ici-bas sombrera ? (Arfuyen, 2002) ou tout simplement celui-ci, Bonheurs d’Olivier Larizza, pour entrer de plein pied dans l’œuvre poétique de Jean-Paul Klée. Ce qu’on y découvre étonne et envoûte. La langue est vive, dételée, non soumise aux règles en vigueur dans l’ordinaire beau et bon parler. Le lyrisme a peu à voir avec ce qu’on en connait de réminiscences purement francophones. Un tempo libre s’y est subtilement invité et les poèmes, dans lesquels l’auteur glisse césures, ponctuations et désirs orthographiques et typographiques particuliers, débordent de vitalité. Au fil des pages, son quotidien et sa biographie s’y révèlent. Par petites touches, avec émotion, reliant les fils d’un itinéraire à jamais marqué par l’assassinat, en avril 1944, de son père Raymond-Lucien (philosophe, compagnon de Sartre) au camp de concentration du Struthof.

« mon père a été massacré affligé on ne
saura pas comment il a disparü & les
fümées n’en reviennent jamais elles qui
ont passé dans l’horrible cheminée qu’on
aperçoit encor à la sortie Krématoria,
l’air n’en pouvait plus & le Ciel
étoufferait de sanglots il s’est déchiré
en deux »

L’amitié que Jean-Paul Klée porte à Olivier Larizza (écrivain lui aussi, né en 1975) a débuté en octobre 2000. Depuis, il ne s’est pas passé un jour sans qu’il pense, écrive et trouve grande énergie grâce à celui qu’il a « remarqué choisi préféré / à toute chose d’avant lui ! ». Plus de 7000 pages se sont ainsi accumulées, la plupart inédites mais quelques unes fort heureusement déjà disponibles.

Après C’est ici le pays de Larizza (édition BF, 2003) et Trésor d’Olivier Larizza (éditions des Vanneaux, 2008), voici ces « bonheurs » activés grâce à l’ami (qu’il nomme ainsi ou « bel enfant » ou « mon ange » ou « le petit loup bleu ») et à qui ils retournent après s’être nourris de la douceur, de la spontanéité, des longues promenades dans Strasbourg, de l’angoisse toujours en embuscade et des aléas journaliers qui rythment sa vie. Le présent lui est plus salutaire que le passé. Sur lequel il ne revient que pour pointer ses failles, ses désillusions, son manque à vivre comblé par la poésie et son sens peu aigu des tâches matérielles non assurées parce que jugées moins nécessaires que l’écriture.

« j’ai perdü argent et relations à ne pas
répondre des courriers importants car j’avais
jamais le temps Toute la journée me filait à
courir la gredine poësie je la voyais
jours & nuits dans les kafés où j’abattis à la
main des feuillets par milliers !...
ça m’a pris forcément des années où hormis
d’écrire ma rêverie je n’ai foutü
rien !... les formülaires de santé le dossier
pour moi retraité la banque qui lentement
pourrissait »

Page à page, Jean-Paul Klée édifie un monument poétique à « l’oiseau miraculeux qui / très doucement devenir me fit / ce que je suis », dit-il en ouverture du livre. Notant ce dont il lui est redevable de joie retrouvée, il ne dérive cependant pas vers l’exercice d’admiration. Ce qu’il doit à Olivier Larizza, c’est une impulsion, une source, une inspiration, un étonnement qu’il ne pensait plus connaître, une envie irrépressible de poursuivre la route (humaine et poétique). Sa douceur et sa bonté (que certains, pris dans les tenailles et la dureté du monde, pourraient prendre pour de la naïveté) et ce don de soi pour l’autre – et les autres – sont rares et remarquables.

Jean-Paul Klée est une sorte de phénomène littéraire. Il maîtrise toutes les subtilités du langage. Il sait le triturer, le casser, le recomposer. Et être drôle, tragique, baroque, pudique, impudique. Il ose s’aventurer là où tant d’autres s’autocensureraient. Ses cartons sont pleins d’inédits. Des milliers de feuilles 21 X 29,7 manuscrites où se trouvent poèmes, pages de journal et textes en prose. Pour l’instant, une douzaine de livres ont vu le jour (certains chez des éditeurs qui ont depuis fermé boutique). Bonheurs d’Olivier Larizza, le premier des « cahiers Jean-Paul Klée » que les éditions des Vanneaux ont décidé de lancer, se termine par un hommage à sa mère,  décédée le 29 avril 2010.

« ombré
d’une beauté sans nom le
visage de ma mère va
vers le rien (le désordre) l’inau
dible dessiné par la terre & le
silencieux cercueil où s’abrite encor
ce qui d’elle a demeuré ici-bas »

 Jean-Paul Klée : Bonheurs d’Olivier Larizza, postface de Jean-Pascal Dubost, éditions des Vanneaux.


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