vendredi 10 septembre 2010

Os

D'emblée, le titre s'impose, s'ajuste. S'intègre on ne peut mieux à la démarche d'Antoine Emaz, à "cette façon de peu" (mots simples et courts, textes vifs, à la fois nerveux et emarquablement construits) qu'il adopte pour tenter de creuser toujours un peu plus. Aller au centre, dans le dur, à l'essentiel. "Tenir le non / ne pas finir tête basse".


"Non

poser cela au départ

comme un grain de sable
ou un petit bloc sûr"

Os débute ainsi, par du concret. Livre mis sous tension. Bâti au milieu des tremblements, des peurs, des constats, des nerfs en vrille qui battent fort en dedans et face auxquels il faut assembler assez d'énergie pour résister, se maintenir debout. Rester - il n'y a pas d'autre issue - présent à soi et aux autres, en équilibre sur un fil, du début du jour jusqu'au soir. Cette évidence, Antoine Emaz s'en accommode comme il peut. Au quotidien. Entre travail et usure. Sans illusion et avec humilité. Poursuivant, amplifiant ici ce qu'il notait déjà dans Lichen, lichen (éd. Rehauts) :

"Faire figure est fatigant. Mieux vaut tenir tête, ou simplement se tenir, être à la hauteur, pas davantage. Bref ne pas séparer le poète du commun des mortels : une peau, des os, des mots."

L'arsenal est précaire mais il faut faire avec. L'utiliser pleinement. S'en servir pour tresser cet écheveau qui, sous nos yeux, au fil des mois, très précisément du 13.05.00 au 02.10.03, deviendra Os, ensemble où s'emboîtent (formant charpente, ossature) plusieurs séquences données dans la chronologie de leur venue à la page. Ces fragments s'entremêlent pourtant. On passe d'une émotion à l'autre, on avance du "calme" à la "peur" en suivant un journal minimal de grande retenue. Ecrit au présent ("laisser le passé / s'en / laver") voire arraché à la confusion des jours.

"on peut rêver d'une poésie
au couteau face
à cette bêtise massive

ou tenir un non
crispé jusqu'à l'os
et boyaux déglingués"

Emaz, s'il dit (bien) la douleur de se mouvoir, la difficulté de porter un corps travaillé, oppressé, en sueur, proche parfois de la panique (avec cette "peur de bête" qui murmure en dedans), n'entend pas, pour autant, s'y complaire. Pour "tenir", il faut trouver un point d'équilibre. Celui-ci passe par l'écrit, la connaissance et le contrôle de soi, de ses nerfs, de ses pulsions. Le soir est à ce titre, chez soi, presque toujours le bienvenu. "En fin de jour", "fin de course", "une fin de lumière", "laisser aller / assez battu / pour aujourd'hui, "laisser venir la nuit dedans"... Autrement dit, se mettre en veille et se refaire avant d'affronter un lendemain qu'il préfère ne pas évoquer.

Os -Antoine Emaz y avance avec ce "on" qu'on lui connaît, qui semble tout à la fois l'englober lui, son corps et son être - s'offre à nous

"avant que tout ne soit perdu
parce que tout sera perdu".

Pas d'illusion donc mais pas non plus le moindre soupçon d'échec. L'énergie qui est ici à l’œuvre s'avère au contraire très stimulante. Quittant ce livre d'extrême tension (publié en 2004), on sait qu'il nous faudra, tôt ou tard, y revenir. Il y a là des épreuves vécues, surmontées, ciselées et transcrites au plus juste capables de nous aider à résister.

Antoine Emaz : Os, éditions Tarabuste.

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