mercredi 1 septembre 2010

Les chiens errants de Bucarest

Invité à se rendre en Roumanie pour participer à une série de rencontres littéraires, Lionel Bourg revint de ce périple lointain, de ce voyage dans d’ « inquiètes Transylvanies intérieures » avec, collé sur la fibrine gaufrée de ses valises, l’haleine rugueuse des chiens errants de Bucarest.
Le livre, à peine entamé, fascine. Bourg nous y embarque avec frénésie. On part au quart de tour, pris, dès la très sinueuse première phrase, dans le tourbillon d’un texte qui, se lisant langue pendante, n’autorise nulle pause en cours de route, serait-ce pour boire, laper ou même se mirer dans l’une des nombreuses flaques de pluie qui trouent les pavés de l’étrange capitale…
C’est à une longue déambulation, presque toujours nocturne, dans une « ville froide, brumeuse », qu’il nous convie. Ses guides, ce sont les bandes de chiens qui traînent aux abords de la gare, stationnent aux carrefours, se retrouvent près des murs et des gravats, courent « sur » les automobiles et finalement s’esquivent, fiers ou infirmes, tirant la patte ou babines retroussées, frôlant de leur « démarche oblique » de hautes palissades.
Entre les discussions tenues en intérieur feutré le jour et les escapades nocturnes au dehors, dans la proximité fiévreuse des chiens, son choix est rapide.
« Je suis des leurs », dit-il.
Sorti, lui aussi, d’une meute d’éclopés.
Perdu, comme eux, sur des trottoirs bordés par la brume neigeuse des Carpates. Et intégrant, de fait, la horde de ces trois cent mille paumés, jetés à la rue au terme d’un « ubuesque chamboulement immobilier » et dont les aboiements plaintifs ou furibards, ne cessent de réveiller douleur, solitude et tendresse au fond de sa mémoire.
Lionel Bourg voyage en portant des sacs chargés de vives mythologies. Son dépaysement, poussé du coude par une réelle nostalgie, lui permet souvent de toucher du doigt quelques unes de ses racines secrètes.
Il en suit les contours avec humour. En profite pour lâcher du lest à son texte, de façon à ce que toutes les émotions puissent s’y enrouler… Des ombres se déplacent qui rappellent ici la présence pas si lointaine d’un sinistre Tintin chez les Soviets, là celle d’un fils de comte devenu empaleur de Valaquie, ailleurs celle, plus floue, d’un as du ballon rond attifé un temps du titre de « Maradona des Carpates » ! Ce sont quelques unes des figures du petit théâtre d’ombres de Bucarest. Lionel Bourg, fumant une cigarette sur les marches de la Bibliothèque Nationale des collections, les évoque avant de poursuivre sa route… Avant de filer place Romana ou, plus loin, rue Polona, rue Dumbrava Rosie, dans « la poésie des noms propres » avec, pour alliés, ces errants honnis et plaintifs à qui il rend, en ces pages, un bel et vibrant hommage.

« Dehors, le froid relevait le col des promeneurs. Un vent cinglant décapitait les fleurs naissantes des magnolias. Je pensais aux chiens. J’avais, qui le vrillaient, dans un recoin du crâne l’aboi des animaux et le silence famélique des hommes. »


Lionel Bourg : Les chiens errants de Bucarest, éditions Fata Morgana.

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