samedi 15 mai 2010

Elle ne suffit pas l'éloquence




Imprimant sa marque dans des proses poétiques (et dans des romans qui s’en approchent) où déambulent, souvent de nuit, des êtres désabusés qui tâtonnent, se cherchent, se trouvent dans des lieux de passage (bar, restaurant, hall de gare, chambre d’hôtel), l’écriture de René Crevel, bien particulière, oscille entre douceur et froideur. Elle est saccadée, régulière, pénétrante, dotée d’une violence sourde.
Crevel (1900-1935), figure marquante du groupe surréaliste, souhaitait une poésie précise, habitée par ce qui, pouvant dépasser le réel, se trouvait, disait-il, en chacun pour peu qu’il veuille écouter son corps, ses rêves, qu’il aille découvrir ce que cache l’envers du décor et qu’il prenne du temps pour s’initier au voyage (même immobile) sans pour autant oublier la réalité d’une société brutale, injuste et, par conséquent, à changer.
Tous ces désirs, ces nécessités, ces essais de voix destinés à ouvrir des espaces de liberté et de révolte, on les retrouve dans Elle ne suffit pas l’éloquence, livre où sont réunis, de façon chronologique, des textes de création (poèmes en vers et surtout proses narratives) publiés en revues entre 1921 et 1934.
L’assemblage est judicieux. Le titre, idéal, exprime on ne peut plus clairement la méfiance que Crevel éprouvait à l’égard des mots et de leurs différents usages. Trop polis, trop goulûment mis en bouche, trop prompts à séduire le plus grand nombre, ceux-ci peuvent facilement se transformer en « agents d’une police intellectuelle ». Pour lui, la parole (ou l’écriture) ne peut pas se concevoir sans l’action qu’elle se doit de déclancher dans la vie même de celui qui s’en empare.
Michel Carassou (auteur chez Fayard d’une biographie consacrée à l’auteur de La Mort difficile) explique cela avec pertinence dans la postface qu’il donne à ce livre qui nous permet de retrouver Crevel et d’entrer dans son œuvre, non pas par la grande porte mais de biais, en profitant des nombreuses (et très éclairées) fenêtres que celle-ci possède.

René Crevel : Elle ne suffit pas l’éloquence, Gravures de Jean-Pierre Paraggio, postface de Michel Carassou, éditions Les Hauts-Fonds.

1 commentaire:

  1. Eloge bel du gars Crevel...
    " (...) nous essayons de fabriquer une vérité de l'insaisissable." in Mon corps et moi
    & chouette découverte que ce blog, où je retrouve des noms bien connus, et d'autres moins... Au plaisir !

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