vendredi 14 mai 2010

Les Périls de Londres



Marchant dans Londres, ville qu’elle connaît bien et qu’elle sillonne depuis de nombreuses années, Sylvie Doizelet a pris, pendant ses récents séjours, des séries de photos qui disent les dangers, interdictions, dérapages, risques de chute, de contamination et de mort qui guettent l’imprudent qui oublierait de prendre au sérieux tous ces rappels.
Ils fleurissent sur de multiples panneaux. On les trouve partout : des terrains vagues au cœur de la ville en passant par les trottoirs, les grilles, les cages d’escalier, les façades de verre, les quais, les esplanades, les souterrains… Façon pour les uns de se prémunir et pour les autres de trembloter en se méfiant de ces incessants périls susceptibles de transformer les éventuelles (et de plus en plus problématiques) flâneries en guet-apens.
Ces dangers inhérents à la capitale londonienne, Jean-Claude Pirotte a choisi de les contourner sans s’en laisser conter. Ces pancartes vont, au contraire, l’inciter à se promener en convoquant, dans les courtes fables, légendes, vignettes qu’elles lui inspirent, des êtres (anonymes ou célèbres) dont les livres ou parcours l’accompagnent et qui, eux aussi, ont arpenté (ou arpentent encore) les rues de Londres. Il y puise sagesse et ironie. Pense aux enfants qui ne savent pas lire. Aux aveugles qui seront piégés. Aux brumes de l’ivresse. Aux ombres qui se bousculent sur les pontons. Et à tous ceux, la plupart, qui, malgré tout, s’en sortent.
« Il reste, accroché à la pointe d’une hallebarde, un fond de pantalon qui flotte au vent, dans le courant d’air éternel de l’agitation urbaine. Quant au propriétaire du pantalon, c’est un garçonnet qui a disparu la veille dans un roman de Dickens. »
Pirotte enchaîne poèmes, récits brefs, réflexions et anecdotes. Il glisse son ombre entre brouillard et lampadaires, s’en remet au hasard – qui le lui rend bien –, évite les parquets cirés des banques de la City et donne à lire des fragments d’existence capables de survivre à bien des interdictions.
Parfois, Henri Thomas, l’auteur de La nuit de Londres, apparaît à la faveur d’un porche éclairé. Armand Robin, qu’il rencontra là-bas, marche à proximité. Mac Orlan vaque également dans les parages. Et Ted Hughes (que traduit Sylvie Doizelet). Et Samuel Pepys. Et Sylvia Plath. Pirotte les salue tous, à tour de rôle, sans s’attarder mais en leur rappelant combien leur invisible présence en bord de Tamise, lui apporte, certains soirs, douceur et réconfort.
Les périls de Londres est le deuxième livre que Sylvie Doizelet et Jean-Claude Pirotte réalisent ensemble. Dans le premier, Chemin de croix (La Table ronde, 2004), c’est elle qui écrivait tandis que lui s’attelait déjà à la légende, mais d’une autre manière, en dessinant des encres aquarellées en regard des quatorze stations évoquées. Ici, les rôles s’inversent à peine. Et le duo, discret, mobile et accordé, est tout aussi épatant.

Sylvie Doizelet et Jean-Claude Pirotte : Les Périls de Londres, éd. Le Temps qu'il fait.

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