Deux livres de James Sacré paraissent coup sur coup et ce sont deux
invitations, deux façons de poursuivre la route avec un poète qui
continue de creuser et d’explorer un territoire littéraire qui lui est
propre et auquel il ajoute régulièrement de nouveaux éléments.
Le premier ensemble est une anthologie personnelle dans laquelle il
reprend un (ou plusieurs) extrait(s) de chacun de ses livres publiés,
revenant ainsi sur un parcours extrêmement riche, débuté en 1965 et fort
heureusement toujours en cours. Ce faisant, il donne la part belle à
tous ses éditeurs et les remercie à sa manière. Avancer à ses côtés, de
titre en titre, en suivant la chronologie des parutions, c’est arpenter
des paysages familiers (les siens, du Bas-Poitou aux États-Unis en
passant par le Maroc, l’Italie, la Galice) qu’il restitue par fragments,
n’oubliant pas le bâti, les habitants, l’histoire et la spécificité des
lieux.
« On s’aperçoit soudain
Que les arganiers ne sont plus des arganiers
Mais des acacias, le paysage aussi
A peu à peu changé mais à quel moment précis
Les arbres sont-ils devenus plus épineux
Soulignant maintenant le vaste plat des étendues
Avec leurs feuillages tenus en gestes de bras à l’horizontale
Et ne grimpant plus sur les pentes nues ?
La silhouette d’un dromadaire très au loin
Vue entre deux de ces acacias de maigre branchage
M’emporte dans des photographies de Lorand Gaspar
Où le proche a goût d’éternité qu’on n’atteindra jamais. »
Les thèmes qui irriguent l’œuvre de James Sacré défilent avec régularité dans ce Choix de poèmes.
On y retrouve – outre l’unité et le foisonnement de son travail au
long cours – la précision de son regard, son attrait pour les couleurs,
son indéfectible attachement à la petite ferme vendéenne où il a passé
son enfance et son adolescence, sa passion pour la langue, les mots, le
vocabulaire, son écriture singulière, unique, imprégnée parfois de
termes empruntés au patois de sa région natale, sa lecture particulière
des paysages, son attention portée aux animaux, etc. Son champ
d’investigation est vaste et fécond.
« Je croyais ne plus retrouver cette amitié silencieuse
De cougoulet ou de l’Ébaupinaie, et ce soir
Tout est là entre les machines agricoles, des champs de maïs
Et la compagnie d’un gros chien noir
(Comme son noir est noir dans l’épais vert de l’herbe) :
C’est dans l’Émilie, une ferme à Mascudiera, parfois
La nuit nous redonne tout
Avant de nous emporter. »

Le second livre est tout entier consacré aux objets, présents bien
sûr (et depuis longtemps) dans nombre de textes de James Sacré. Ce qui
l’intéresse ici, c’est leur présence, leur histoire, l’étrange
cheminement qui fut le leur pour parvenir jusqu’à lui. Objets usuels ou
désuets, familiers ou perdus de vue, nés de la main d’un artiste ou d’un
artisan, objets avec lesquels s’établit un rapport durable et qui
peuvent naturellement se muer en sujets. "Des objets de partout qui
disent / Que l’homme s’en servait, puis les a perdus / En route vers les
impasses et culs de sac du monde". Objets récupérés dans un grenier ou
achetés dans une brocante ou un marché de plein air. Il y a là des
poteries, des tissus, des tapis navajos, des bocaux et des bouteilles
colorés, des bols de faïence, des plats, "tant d’objets qui ne t’ont
rien demandé" mais dont la présence est réconfortante.
« Il y a dans un plat de faïence
À grands dessins bleus en son intérieur
Deux fruits qui vont brunir encore, ils gardent comme en mémoire
Le rouge que furent les grenades vivantes
Dans la fin de l’été passé.
L’été prochain on en remettra d’autres
Dans ce plat de céramique venu de l’Andalousie :
Léger gris nourri de rose en son extérieur
Et dedans le bleu d’un feuillage. »
Dans les notes qui figurent en postface, James Sacré explique clairement sa démarche. Voici ce qu’il en dit :
« Les objets du livre sont originaires de divers pays, les
États-Unis, le Maroc, l’Espagne et l’Italie, et aussi ma Vendée natale.
Mais si ces noms de pays peuvent évoquer des cultures particulières
c’est pourtant un vivre commun à toutes ces "nations" que ces objets
font découvrir : un vivre humain universel à travers des activités et
des inventions qui sont de partout et de toujours. Tissages, tressages,
inventions de poteries, d’outils, d’armes, de nourritures, de jardins,
de maisons, musiques, peintures, paroles et langues. Autant de
merveilles (avec parfois de dangereuses dérives). Chacun de ces objets,
nommé et regardé dans ses singularités, nous ramènent vers ce nœud
d’activités à l’origine de toutes nos aventures humaines. »
James Sacré : Choix de poèmes, éditions Unes, Des Objets nous accompagnent, éditions PURH, Presses Universitaires de Rouen et du Havre.